Égypte. Abdel Fattah al-Sissi, héros d’une série du Ramadan

 Égypte. Abdel Fattah al-Sissi, héros d’une série du Ramadan

Une série accusée de promouvoir le culte de la personnalité, derrière la rengaine nationaliste

Série télévisée d’un nouveau genre, traitant de l’histoire contemporaine égyptienne, « al-Ikhtiyar » (Le choix), qui entre dans sa troisième saison, divise. Entre admirateurs du genre et détracteurs d’une « grotesque propagande » à la gloire du régime militaire égyptien, la polémique fait rage, y compris au-delà des frontières du pays.

« Une falsification de l’histoire récente égyptienne ». C’est en ces termes que le vaste réseau de médias égyptiens exilés à l’étranger, opposés au règne sans partage d’al-Sissi, qualifient l’œuvre télévisuelle.

« Il a choisi lui-même qui jouera son rôle : un acteur grand et svelte. Mais tel est pris qui croyait prendre : cette série est devenue une comédie raillée par le peuple », a ainsi tweeté Moataz Matar, qui compte 2,2 millions d’abonnés sur Twitter et ne ménage pas le show business égyptien.

C’est que ce péplum coche toutes les cases d’une tradition du film égyptien du renseignement, à la Raafat Al-Haggan, mettant en scène le commis de l’Etat, issu des services, figure patriotique tiraillée entre sa conscience et le sens du devoir. Meurtrie par les défaites de Nasser, l’inconscient égyptien et plus généralement arabe est resté friand de ce type d’appel de la nation, transposé à l’écran, avec cette fois un nouvel antagoniste : l’ennemi intérieur.

 

Un péplum sponsorisé par le ministère de l’Intérieur

L’armée et son général en « sauveurs » de l’Égypte face aux risques d’un conflit civil ourdi par les Frères musulmans, ce qui disculpe le régime pour le massacre de la place Rabia (817 morts entre le 14 et le 16 août 2013). Tel est le postulat de la série à fort audimat. Selon Al-Arabi 21, la boîte de production Synergy, qui produit la série, est une « propriété des services secrets égyptiens », à l’instar d’autres boîtes du secteur.

Diffusée sur la chaîne On Drama, la saga qui part sur les traces d’officiers des forces spéciales égyptiennes engagées avec bravoure dans la « lutte contre le terrorisme », a pour décor les préparatifs de ce qui est présenté comme la « révolution du 30 juin » : les manifestations contre les Frères musulmans et le président élu Mohamed Morsi, soit quatre jours avant le coup d’État d’Abdel Fattah al-Sissi.

Se voulant encore plus réaliste, cette saison se distingue par l’ajout de personnages tels que l’ex-ministre de la Défense Hussein Tantaoui, et feu le président Mohamed Morsi, mais surtout le « héros » Abdel Fattah al-Sissi en super star, incarné par l’acteur Yasser Galal. Autre nouveauté, des images d’archives bien réelles sont incrustées dans la narration, ce qui entremêle davantage encore le réel et la part de fiction. La série se veut par ailleurs intimiste, avec un Sissi humanisé, en famille, en fils dévoué et modeste.

« C’est une première dans l’histoire des séries égyptiennes : diffuser une série sur les aventures d’un chef de l’État de son vivant et sous son règne », note Arabi 21, à propos du manque de recul nécessaire à une telle œuvre. Là où l’ancien dictateur Hosni Moubarak, l’ancien président déchu, avait refusé un projet de film l’incarnant via Ahmed Zaki, le maréchal Sissi aurait lui-même donné son aval pour le casting.

Pour Hossam al-Ghomri, critique et cinéaste, l’opération de communication ciblerait l’actuel déficit en popularité dont souffre Sissi qui a engagé des projets pharaoniques notamment dans le Caire, au détriment des classes les plus démunies qui continuent de s’appauvrir, en marge de ce Disney Land grandeur nature.

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Seif Soudani