Contre l’« apartheid », Gennevilliers et Grigny attendent encore des « actes forts »

 Contre l’« apartheid », Gennevilliers et Grigny attendent encore des « actes forts »

À Grigny


À La Grande Borne, Bernard cherche une lueur d'espoir : « C'est le désert ». Six mois après Charlie, les villes pauvres de Gennevilliers et Grigny, dont les noms sont désormais associés à Coulibaly et Kouachi, se débattent avec « des mesurettes » contre « l'apartheid social », malgré les annonces du gouvernement en faveur des banlieues.


 


L’effet « Charlie »


Le réveil a été brutal en janvier quand ces banlieues parisiennes sont devenues aux yeux de l'opinion les villes de trois jihadistes. Dans les semaines qui ont suivi, Manuel Valls avait voulu créer un électrochoc en parlant d'un « apartheid social, territorial et ethnique », notamment en banlieue. Depuis, des mesures sur l'école ou le logement ont été annoncées, pour casser les ghettos.


Mais sur ces territoires, coeurs de cible de la politique de la ville, les changements se mesurent à l'échelle de décennies, « pas en six mois », admet Bernard Moustraire, président de l'Amicale des locataires de La Grande Borne, quartier sensible de Grigny (Essonne) où a grandi Amédy Coulibaly.


Au pied des immeubles, le sexagénaire balaie du regard la place des Herbes : « Il n'y a plus de commerces ». La Poste? « Fermée depuis un an ». La CAF ? « Fermée depuis trois ans ». Aujourd'hui, seuls résistent une pharmacie, un centre PMI et un pressing. « Notre réalité n'a pas changé depuis qu'on a parlé d'apartheid », « j'ai plus l'impression d'un immobilisme », renchérit Inès Marszalek, la pharmacienne.


 


Que des discours


Désert médical, « droit à la sécurité » non respecté, Pôle emploi absent : « On a passé six mois à espérer, force est de constater que les mesures anti-apartheid n'ont pas été prises », souffle le maire PCF Philippe Rio. « L'État intervient par du symbole, ça coûte pas cher. Tout le monde attend des actes concrets très forts ».


En avril, la ville, une des plus pauvres de France, a adopté symboliquement un budget « anti-apartheid » de 3 millions d'euros, pour protester contre « la baisse du concours de l'État aux collectivités locales » et « l'austérité budgétaire ». De son côté, le ministère de la Ville promet de renforcer les services publics : La Poste s'est engagée à rester sur la commune et à ouvrir un nouveau distributeur de billets. Malgré cela, le compte n'y est pas, la ville se disant incapable notamment d'absorber le coût de la réforme des rythmes scolaires.


 


Coupe budgétaire malvenue


À 45 km de là, à Gennevilliers (Hauts-de-Seine), la ville de Chérif Kouachi où la situation est un peu meilleure, le maire PCF Patrice Leclerc fait le même constat : « On casse notre élan ! » Après avoir acheté une pub dans la presse pour contrer « l'effet Kouachi », il veut s'attaquer à la baisse de 17 % des subventions de la politique de la ville, notamment à destination des associations, qui s'ajoute à une réduction de la dotation globale de fonctionnement de 3 millions d'euros par an.


Le monde associatif s'inquiète pour l'avenir des actions entreprises de longue date pour réduire les fractures. « C'est bien la première année où les budgets baissent autant », s'alarme Annick Poulain, la directrice de Plein Grés, structure de petite enfance et acteur de l'insertion des femmes sans emploi. Cette année, elle perd 85 000 euros. « C'est trois postes salariés en sursis ».


Ces coupes interviennent alors que Gennevilliers récolte les graines semées depuis vingt ans par les politiques de la ville, à travers une intense rénovation urbaine. « C'est au moment où la vie s'améliore, où on peut montrer l'efficacité du tissu associatif que l'on diminue les subventions », déplore M. Leclerc.


Rached Cherif


(Avec AFP)

Rached Cherif