Lumières sur l’affaire Tarak Ben Ammar et Technicolor

 Lumières sur l’affaire Tarak Ben Ammar et Technicolor


Le 20 février 2018, un arrêt de la Cour d’Appel de Versailles exonère Tarak ben Ammar de la quasi-totalité des fautes reprochées dans une procédure pénale qui a conduit en 2015 à sa mise en examen en même temps que les principaux dirigeants du groupe Quinta Industries suite à la liquidation de cette dernière. Cet arrêt rend très probable, sinon certaine, l’annulation de la mise en examen.


 


Plus récemment encore, les médias américains ont largement fait état la semaine dernière du rôle prépondérant de Tarak Ben Ammar dans l’affaire Weinstein, tant au niveau de l’éviction de Harvey Weinstein que dans le sauvetage de la société. Cette affaire, par la valeur des actifs en jeu ($550 millions) et par le retentissement planétaire qu’elle a eu, est sans commune mesure avec l’importance de l’affaire QuintaIndustries.


Et pourtant, lequel de ces développements le site BFMTV a choisi de mettre en exergue pour le titre qu’il consacre à l’actualité de Monsieur Ben Ammar ? Le plus ancien et le plus négatif à savoir la mise en examen qui date de 2015, vieille de bientôt 3 ans.


Un bref rappel des évènements qui ont marqué le secteur des industries techniques (Post Production Image et Son, Trucages, Tirage de Copies) au cours des 15 dernières années montrera les difficultés qu’à rencontrées Tatak Ben Ammar dans la poursuite d’un objectif simple : doter la France, premier producteur européen dans le cinéma, d’une Industrie Technique pérenne et compétitive et du traitement qu’il a subi en retour. 


 


L’Histoire commence en 2002  


Les Industries Techniques sont alors dominées par 2 acteurs principaux :  LTC et Eclair.


Eclair était un groupe florissant alors que LTC rencontrait de sérieuses difficultés, au point de se retrouver en mandat « ad hoc », l’anti chambre du dépôt de bilan.  


C’est alors que Tarak Ben Ammar intervient pour sauver ce groupe, en ayant en vue une prochaine incursion chez Eclair pour consolider les 2 leaders de l’industrie. En attendant, c’étaient 400 emplois de sauvés, €5 millions injectés et une nouvelle dynamique retrouvée grâce à l’apport de chiffres d’affaires qu’il allait apporter par les films produits.


Le 2ème jalon de l’édifice allait être l’entreprise Duran Duboiqui était, elle, en dépôt de bilan. Ce joyau de l’industrie numérique naissante a pu être sauvée par Tarak Ben Ammar grâce à un apport en argent frais de €3 millions avec, au passage, 150 emplois hautement qualifiés sauvegardés. 


Enfin, pour doter la France de studios et de locaux de postproduction d’un standard international, Tarak Ben Ammar investit dans la Cité du Cinéma, l’ambitieux projet de Luc Besson, et convainc le groupe Bolloré d’en faire autant. 


Pour donner une cohérence financière et technique, Tarak Ben Ammar s’est alors rapproché du leader mondial de l’industriecinématographique, Technicolor. 


Après avoir conclu avec lui un accord de « coopération », une prise de participation minoritaire est décidée en 2006.


Les 2 parties établissent un plan d’action clair : prise du contrôle d’Eclair fusion des 2 groupes et cession à Technicolor pour créer un grand laboratoire tourné vers le monde grâce au réseau international de Technicolor.


Le plan d’action envisagé se met rapidement en route. En 2007, Tarak Ben Ammar met un pied dans Eclair en prenant une participation de 43% puis engage des négociations en vue de la fusion des 2 entités. Cette fusion devenant une urgente nécessité en raison de l’apparition des technologies numériques qui allaient progressivement faire décliner l’activité photochimique des deux laboratoires, principale source de leurs profits. Une consolidation s’imposait et était conditionnée à l’accord des autorités de la concurrence. 


C’est là que les masques tombent : comment pouvait-on envisager que Tarak Ben Ammar puisse maintenant contrôler le seul laboratoire français de taille internationale et qui stockait la totalité du patrimoine cinématographique français que, murmure-t-on, il allait déménager en Tunisie. « Un danger pour le cinéma français ! » s’exclament certaines grande figures du gotha français.


La fusion est bloquée. Qu’importe le champ de ruines qui va en découler ! GTC filiale d’Eclair est liquidée, Eclair entre en « Plan de Sauvegarde » et LTC rencontre ses premières difficultés. 


Car, pour donner le coup de grâce, le Centre National du Cinéma, procède à un programme de subventions pour la numérisation des salles sans équivalent en Europe, précipitant la chute des laboratoires photochimiques que sont Eclair et LTC. 


Pendant ce temps, Technicolor, avec l’arrivée d’une nouvelle direction, change son fusil d’épaule et mise sur l’échec de LTC pour pouvoir reprendre les actifs à vil prix. Il « fait semblant » de négocier avec Quinta l’achat des labos, entreprend des études détaillées à l’intérieur de la société pour mieux en connaitre tous les secrets, techniques et commerciaux, pour, en Avril 2011, annoncer qu’il n’achètera rien. Le prétexte avancé est que : « Notre plan de Sauvegarde ne nous permet pas de procéder à l’acquisition ». Evidemment, Technicolor même sollicité par le Ministère de l’Economie, refuse de jouer son rôle d’actionnaire et de renflouer la société. 


Tarak Ben Ammar tente alors une dernière manœuvre pour sauver son entreprise. Il se tourne vers les pouvoirs publics et les banques, tout en injectant des millions d’euros pour donner de l’oxygène à l’entreprise. Les banques disent poliment non. Peu après, l’annonce de la suspension du programme de numérisation est faite. Le rideau tombe. 


Cet épisode de 10 ans aura tout de même permis de payer €100 millions de salaires à des employés, et €80 millions de charges sociales. Il a surtout permis à plusieurs centaines de films Français d’être post-produits en France plutôt qu’à l’étranger, et notamment le film qui fait aujourd’hui la fierté du cinéma Français, « The Artist ».


Un boulevard s’ouvre pour Technicolor qui s’accapare à la barre du Tribunal les pépites du Groupe pour une bouchée de pain, laissant à l’écart les créanciers et une centaine de salariés. 


Dans les jours suivants l’annonce de la reprise, l’action Technicolor a connu un bond de 40%, augmentant de plus de €100 millions sa capitalisation boursière. Pour remercier la loyauté de ces derniers, sans qu’il en ait la moindre obligation, Tarak Ben Ammar leur verse €1 million (soit €9.000 par employé en plus des indemnités légales de €30.000).


 


La Riposte


Quinta Communications ne pouvait évidemment pas en rester là et a choisi de demander réparation du préjudice que lui a causé Technicolor en déposant plainte pour escroquerie et abus de confiance.  


Pour pouvoir disposer d’éléments de preuve intéressants, les conseils de Tarak Ben Ammar ont introduit une première action assez rarement utilisée en France, basée sur l’article 145 du code de Procédure Civile. Sur la base de cet article, le Juge peut autoriser la saisie de certains documents dont dispose l’adversaire. Après un feuilleton judiciaire à plusieurs rebondissements Quinta a eu gain de cause et la justice a pu saisir ces documents .


1-dans son arrêt du 8 décembre 2015, la cour d’Appel de Versailles considère clairement que « les allégations de la Société Quinta ne sont ni hypothétiques ni imaginaires ». 


2- le Parquet, dans l’avis qu’il a donné considère qu’il est légitime que « Quinta considère que ces pourparlers n’avaient pas d’autre but que de l’espionner » 


3-Le représentant du Parquet quand il a développé oralement ses observations devant la Cour a explicitement parlé de « prédateurs [qui] raflent à bon compte les fichiers clients, les prix, etc… » 


Sur un autre front, la plainte pour escroquerie déposée par Quinta a été élargie par le Parquet à une « escroquerie au jugement », à la suite de l’intervention des pouvoirs publics dans le cadre de l’article 40. 


En représailles contre l’action intentée par Quinta contre Technicolor, Le Liquidateur, après qu’il ait annoncé aux conseils de Monsieur Ben Ammar qu’il n’avait aucune intention de le poursuivre, fait brusquement volte face et 15 jours après le dépôt de la plainte de Quinta contre Technicolor, intente une action pénale contre les dirigeants de QuintaIndustries, y compris Tarak Ben Ammar. Cette action aboutit alors à sa mise en examen. En parallèle l’action civile aboutit à l’Arrêt de la Cour de Versailles du 20 février 2018, qui exonère Tarak Ben Ammar de toute responsabilité personnelle dans les fautes de gestion commises au sein du groupe et ne retient que celles des vrais dirigeants. Cet arrêt, de l’avis de ses conseils, devrait annuler quasi automatiquement la mise en examen décidée il y a 3 ans.

La rédaction