Lettre ouverte au président de la République

 Lettre ouverte au président de la République

Arrière plan : Bain de foule d’Emmanuel Macron à Saint-Denis, le 21 avril 2022. Kiran Ridley / GETTY IMAGES EUROPE / Getty Images via AFP

Cher Emmanuel,

On ne se connait pas vraiment même si on s’est déjà rencontré plusieurs fois. On a même failli partir en Algérie ensemble, patrie de mes parents, en août 2022, moi en tant que journaliste accrédité, toi en tant que toi, « président de tous les Français », basanés compris.

La première fois que je t’ai vu c’était en 2021 sur le Pont de Bezons pour la commémoration du 17 octobre 61. Tu t’étais recueilli pour rendre hommage aux Algériens massacrés par la police de Papon. Tu semblais tellement sincère que j’ai versé une larme.

La seconde fois, tu venais prendre un bain de foule à Saint-Denis entre les deux tours de l’élection présidentielle. Tu te souviens ? Tu avais été accueilli en héros. Ton visage était radieux, tu riais comme un enfant à qui on venait d’offrir de sublimes cadeaux à Noël.

A Saint-Denis, contrairement à d’autres endroits de France, personne ne t’avait giflé, moqué, insulté. Ici, dans la ville où sont enterrés les rois de France, tu étais l’Homme Providentiel, le rempart à L’Autre, la candidate de l’Extrême droite qui menaçait d’accéder au Pouvoir.

Nous les métèques de tout poil, on flippait à mort. Parce qu’on savait que la Préférence nationale à la sauce Marine concernerait tous les Non-Blancs, les étrangers, les Français. Nous tous.

Je n’ai jamais été fan de ton programme politique. Difficile d’aimer quelque chose dont on ne comprend pas la cohérence. Ton « en même temps » légendaire, c’est pas trop mon truc, soit on est de gauche soit on est de droite. L’histoire a montré que les deux, c’était pas pareil et qu’ils ne traitaient jamais de la même manière les plus précaires, les déclassés.

J’ai pris sur moi, j’ai laissé ma fierté, mon orgueil de côté et en bon hussard de la République, j’ai mouillé la combin’ pour toi. Pendant plusieurs semaines, j’ai appelé les amis pour qu’ils aillent voter. Et puis, comme aujourd’hui, j’ai pris la plume. Je me disais naïvement qu’en sauvant le soldat Macron, on sauvait les immigrés et leurs descendants de ce pays.

Le 20 avril 2022, une tribune pour inciter les autres, celles et ceux qui hésitaient encore à voter pour toi a été publiée sur le site de Libération. Un buzz immédiat sur nternet, avec en retour énormément de messages positifs. Je rappelais juste avec des mots simples qu’en tant que métèque, je n’avais pas le luxe de m’abstenir. Je disais en substance que Toi et L’Autre, ce n’était pas pareil.

J’avais réussi à convaincre pas mal d’indécis. Quand tu as gagné, j’étais fier, j’avais contribué avec d’autres, – dont beaucoup de celles et ceux que tu méprises aujourd’hui -, à ta réélection.

Je n’ai pas non plus fait la fête mais j’étais rassuré. Je me suis dit qu’avec toi, au moins, moi le basané, l’étranger éternel, l’ennemi de l’Intérieur, j’allais bénéficier de cinq ans pour souffler.

Comprends-moi, depuis tout petit, je travaille d’arrache-pied pour me sentir chez moi dans le pays qui m’a vu naître. Dès le soir de ton élection le 24 avril 2022, tu déclarais solennel, « vous m’avez élu pour faire barrage à l’extrême droite, ce vote m’oblige ».

Pourtant, ce mercredi 20 décembre, tu as perdu la mémoire en nous trahissant. Je crois que tu ne mesures pas la blessure qu’on est nombreux à ressentir à l’intérieur. Moi je ne perdrai jamais la mémoire. Je serai toujours solidaire des immigrés, avec ou sans papiers. Parce que tous ces gens qui arrivent par milliers chez nous, cela aurait pu être moi.

Mais mon père, Feu Mohand Dendoune qui s’est éteint en 2019, a décidé de faire le voyage en région parisienne, quittant son village kabyle, sans bagages et sans visa, – il n’en avait pas besoin, l’Algérie c’était la France -. Comme l’immense majorité de celles et ceux qui ont déserté leur terre pour offrir une vie meilleure aux siens, il a débarqué à Paris pour trimer.

Si la France est riche aujourd’hui, elle le doit en partie à ses immigrés, avec ou sans papiers. Encore aujourd’hui, beaucoup d’entre eux occupent les postes dont nous Français on ne veut pas.

Qui prend soin de nos gosses, de nos vieux ? Qui nettoie nos bureaux, nos maisons ? Qui trime sur les chaînes de tri de nos déchets ? Qui nous soigne à l’hôpital, du médecin à l’aide soignant ? Qui ramasse nos poubelles ? Qui nous prépare de bons petits plats dans les cuisines des restaurants ? Qui nous répond dans les centres d’appels des SAV de tous nos services ? Qui construit les immeubles de nos villes ? Qui ramasse les fruits et légumes dans vos champs ? Qui trime sur les chantiers de vos Jeux Olympiques ? Qui éduque vos enfants dans les crèches, les écoles ?

Sans eux, la France ne fonctionnerait pas. Quand va-t-on enfin parler de façon juste de ce que l’immigration apporte à notre pays ?

Avec ta loi abjecte, – Marine l’avait rêvé, toi tu l’as fait -, tu insultes la mémoire de nos parents, les nôtres sont dévalorisés, méprisés sous nos yeux. Et tu éloignes encore un peu plus de la République certains de tes concitoyens, celles et ceux qui ont voulu mais qui ont toujours eu du mal à « aimer la France »…

 

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Nadir Dendoune