Marcel Khalifé, le poète libanais

 Marcel Khalifé, le poète libanais

M. Khalifé : « … ma mère est partie avant la chanson et avant la musique. Elle n’a jamais pu entendre mes compositions. Ni voir comment j’ai dispersé mes jours dans les valises, les aéroports et les villes lointaines… ». JOSEPH EID / AFP

Entretien avec Marcel Khalifé, figure de la musique arabe, grand défenseur de la cause palestinienne, qui a choisi de répondre à nos questions par ce texte en prose, afin de retracer son parcours. Le compositeur, chanteur et oudiste sera présent, avec Bachar Mar-Khalife le samedi 10 septembre, à 21H30 à l’amphi d’O – Domaine d’O – Montpellier

Propos recueillis par Jonathan Ardines

 

 » Je laisse le texte musical et la voix jaillir de moi spontanément. Les alourdir de règles serait les perdre. J’écris sans hésiter pour qu’une aurore auréolée de lumière transperce la nuit. Je ne suis ni critique d’art, ni chercheur, ni savant. J’écris la musique et je lui arrange comme je peux sa parure d’horizon.

A chaque fois que je joue du oud, ma nostalgie se rassasie et s’apaise. Je dessine la musique sur les partitions à l’encre secrète. J’écris ce que j’entends et ce que je n’entends pas dans l’éclair d’un âge impatient qui n’attend personne.

J’écris et à la lumière des bougies que des mères ont allumées pour moi. J’écris pour verser plus d’amour à l’héritage de la tolérance. J’écris à l’oiseau qui me berce par sa détermination à gazouiller, à la question inouïe dans le chant matinal du coq.

J’écris la musique quand je n’arrive pas à parler. Mon âme et ma vie se sont façonnées d’un ensemble de percées et de motifs jouant en moi. Et je tra[1]duis cela en musique pour inciter les gens à s’embraser et à atteindre l’extase.

L’enfance comme inspiration

Je ne sais pas tout à fait comment écrire la musique, tout comme le poisson ne sais pas comment nager, ni l’oiseau comment voler, ni le bébé comment ramper. La musique est une sorte d’éclair glanant des torches allumées en nous, une sorte d’illumination qui perce comme les sources jaillissent du désert.

L’originalité créative réside dans le fait de forger son style propre, le monde n’a pas besoin de copies doubles. Mes textes musicaux sont traversés par l’enfance, la reconstitution d’un monde disparu. C’est dans notre petite maison, à la fois vaste et étroite, que j’ai composé mes premières œuvres. C’est là-bas que mon père, ma mère et mes grands-parents les ont entendues.

Pourtant, je n’ai, jusqu’à aujourd’hui, pas encore écrit la musique que j’aspire à écrire. Je l’entends en rêve. Et quand je me réveille, elle résonne dans mes oreilles d’un silence infini. La musique n’est-elle pas démesurément insensée ?

Les premières sources auditives dans lesquelles j’ai puisé étaient les voix des gitans, dans leurs tentes avec le bouzouk, leurs chants et leurs danses ensorcelantes. J’ai rempli la partition musicale des chansons bédouines lancinantes de nostalgie.

A ce jour, j’en entends encore l’écho et les rythmes. Cet écho est resté indestructible face au temps. Il y a aussi les voix des enfants du quartier, chantant ensemble au rythme des boîtes d’étain et des pots de lait vides.

Perte de sa mère

La nostalgie de ma ville natale, Amchit, ne m’a jamais quitté et mes compositions se font l’écho de ce que j’ai gardé en mémoire, des voix de marins et de laboureurs, parmi ce que j’ai ouï et contemplé. La conscience du petit garçon que j’étais s’imbibait de musique, émerveillée par les sons.

La voix suave de mon grand-père, son jeu du pipeau et du rababa, dans les soirées de tarab. Ou mon père qui se saoulait de la musique du oud. Et ma mère qui a remarqué mon aspiration pour la musique, et grâce à qui j’en ai fait mon métier.

Je me souviens, elle répétait la même berceuse pour m’endormir, imbibée de son amour immense. J’ai grandi aux rythmes des hymnes de ma mère dans un berceau en bois qu’elle berçait de sa main droite. Sa voix avait une beauté mystérieuse, mélangée à la brise venue de la mer.

Cependant, ma mère est partie avant la chanson et avant la musique. Elle n’a jamais pu entendre mes compositions. Ni voir comment j’ai dispersé mes jours dans les valises, les aéroports et les villes lointaines. Elle n’a pu voir que j’ai traversé la Terre à maintes reprises, comme le fait l’oiseau. »

Marcel Khalife sera présent, avec Bachar Mar-Khalife, le samedi 10 septembre, à 21H30 à l’amphi d’O – Domaine d’O – Montpellier.

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Jonathan Ardines