Maroc : vers un renouvellement du pacte de confiance

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Le docteur en sciences politiques et chercheur en relations internationales, Sébastien Boussois revient sur les décisions prises par le roi Mohammed VI concernant l’éducation et la santé au Maroc.
Une tribune de Sébastien Boussois
Quinze ans après les Printemps arabe, le Maroc vit un moment charnière de son histoire contemporaine. Jusque maintenant, le pouvoir chérifien était parvenu à contenir les protestations populaires et le pays s’est relativement démarqué de ses voisins depuis 25 ans et l’accession au trône du roi Mohamed VI. Mais depuis plusieurs semaines, et alors que tous les projecteurs sont déjà tournés vers le prince héritier, une lame de fond traverse le pays : celle d’une jeunesse en quête de reconnaissance, d’équité et de perspectives. Le mouvement Gen Z — pour Génération Z marocaine — s’est imposé comme le symbole d’un Maroc nouveau, connecté, conscient, et désireux de participer activement à la vie publique. Fort de tous ses atouts et d’une jeunesse dynamique et toujours pleine d’espoirs, le pays dispose d’un potentiel économique énorme pour offrir des perspectives porteuses pour sa jeunesse. Dans toutes les grandes villes du royaume, des centaines de jeunes se rassemblent pour exprimer leurs revendications : plus d’emplois, une éducation plus adaptée aux réalités économiques, un accès équitable aux services publics et à la mobilité sociale, une lutte plus active contre la corruption et les privilèges.
Ces mobilisations se veulent pacifiques, organisées et profondément patriotiques. La jeunesse marocaine ne réclame pas la rupture, mais la réforme. Elle ne cherche pas à partir en Europe ou ailleurs mais à soutenir son pays. Mais elle doit être soutenue pour cela. Pourtant, face à cette expression populaire légitime, le gouvernement a d’abord fait preuve d’une étonnante résistance, voire d’un déni. La lenteur des réactions, la multiplication des déclarations technocratiques et l’absence de réponses concrètes ont accentué la frustration d’une génération déjà confrontée à un chômage élevé, à un coût de la vie en hausse et à une perte de confiance envers les institutions. Certains ministres ont même tenté de minimiser la portée du mouvement, en le présentant comme une agitation passagère. Ce mépris latent a contribué à amplifier la contestation.
C’est dans ce contexte tendu que le roi Mohammed VI et son Conseil des ministres ont fait des propositions à la jeunesse, qui doivent désormais être votées par le Parlement ; et ce à moins d’un an des élections générales. Fidèle à son image de « roi des pauvres », et tentant de reprendre la main, il a réaffirmé son engagement en faveur de la justice sociale, mais il est allé plus loin : il s’est clairement rangé du côté de la jeunesse, reprenant à son compte une partie de ses revendications. Le roi a présenté une série de propositions ambitieuses et précises à destination directe des jeunes : création d’un fonds national pour l’innovation et l’emploi des jeunes, réforme en profondeur du système éducatif et universitaire, avec une meilleure orientation vers les métiers d’avenir, mise en place de plates-formes régionales de dialogue entre jeunes et institutions publiques, plus grande accessibilité de cette jeunesse à l’engagement politique. Il a également appelé à une réforme de la communication politique, estimant que l’État devait « parler vrai » et « écouter mieux ». Autrement dit, le monarque a replacé la jeunesse au centre du projet national, comme moteur du changement et non comme menace. En annonçant la création de près de 27 000 postes d’enseignant et dans le secteur de la santé, il offre aux Marocains la possibilité de combler son retard de développement en la matière pour les prochaines années.
Mais derrière cet appel à la refondation se cache une réalité politique complexe. Car si Mohammed VI parle, encore faut-il que le gouvernement écoute. Or, les relations entre le Palais et l’exécutif sont, depuis plusieurs années, empreintes d’une méfiance réciproque. La monarchie impulse, le gouvernement exécute — parfois mal, souvent lentement. Ce décalage entre la vision royale et la mise en œuvre politique risque de s’amplifier si le gouvernement ne s’aligne pas sur cette dynamique. Les prochaines semaines seront donc déterminantes : ou bien l’exécutif saisit cette main tendue à la jeunesse, ou bien il s’expose à une crise de confiance qui pourrait affaiblir durablement sa légitimité.
Le roi, lui, sort renforcé. En s’adressant directement à la Génération Z, il a renoué avec la fibre populaire qui a toujours nourri sa légitimité. Mohammed VI réaffirme qu’il demeure non seulement le garant de la stabilité du royaume, mais aussi le trait d’union entre les institutions et le peuple, entre l’ancien Maroc et celui qui s’éveille. Tout cela est-il à même de redonner espoir à une jeunesse longtemps marginalisée dans les décisions publiques ? Ces mesures rappellent en tout cas à tous que la monarchie marocaine, loin d’être figée, sait se réinventer. Et que le mouvement Gen Z n’a jamais demandé la fin de la Monarchie mais au contraire un soutien et un engagement fort de sa part dans ses revendications.
Le Maroc entre ainsi dans une phase cruciale : celle d’un possible renouveau social et politique, où la voix des jeunes ne serait plus une contestation, mais une contribution. Mohammed VI l’a compris : il n’y aura pas de futur marocain sans la Génération Z. En se rangeant à ses côtés, il ne fait pas qu’apaiser une colère, il ravive une espérance. Celle d’un royaume capable d’évoluer sans se renier, de conjuguer autorité et écoute, tradition et modernité. Une équation rare, mais qui pourrait bien devenir le nouveau visage du Maroc de demain. En tout cas le pays en a les moyens économiques et les potentiels de développement du Nord à Tanger jusqu’au Sud marocain sont énormes.
