Mortaza, mémoire vivante du malheur afghan

 Mortaza, mémoire vivante du malheur afghan

Mortaza Behboudi, journaliste franco-afghan, emprisonné en Afghanistan, depuis le 7 janvier 2023, deux jours après son arrivée à Kaboul.

Joe Biden lèvera-t-il le petit doigt pour sauver d’une souffrance lente mais certaine le journaliste Mortaza Behboudi ? Placé en détention le 7 janvier 2023, deux jours après son arrivée à Kaboul, alors qu’il effectuait les démarches pour obtenir une accréditation, le Franco-Afghan serait, selon diverses sources, sous le coup d’une accusation d’espionnage bien qu’aucune charge n’ait jamais été, officiellement, lancée contre lui par le régime taliban.

La libération de ce journaliste qui collaborait notamment avec France Télévisions, Arte, Radio France, « Quotidien » ou Mediapart, a été érigée en priorité par Edwy Plenel qui en a fait une affaire personnelle en lançant notamment le hashtag #FreeMortaza. « Son seul tort, c’est de faire son métier, le journalisme, au service d’un droit fondamental, le droit de savoir », explique le trublion de Médiapart qui considère Mortaza, plus qu’un collaborateur mais comme un véritable ami.

Ça fait toujours mal de voir un journaliste jeté en prison à cause de son métier ou en raison de ses idées, mais l’injustice est encore plus insoutenable quand on connaît le soin que porte cette homme à la recherche de la vérité, à la traque des faits, dans le seul objectif d’informer le plus objectivement possible. Mortaza était tout ça en même temps.

Il faut sans doute reconnaître que dans ce petit microcosme médiatique parisien, ce rescapé de l’exil (il s’est enfui avec ses parents en Iran alors qu’il était âgé de 2 ans), est vraiment un cas à part. Quand vous croisez Mortaza à l’occasion d’une rencontre parisienne, vous êtes à mille lieues de penser que ce jeune homme tout sourire en a bavé, autant pour couvrir la révolution iranienne de 2009 alors qu’il avait à peine 15 ans, que pour décrire la chape de plomb du régime des Talibans.

A la Maison des journalistes, quand il débarque en France en 2015, il va tout de suite obtenir le statut de réfugié puis la nationalité française. Cofondateur du média Guiti News qui défend la cause des exilés, Mortaza n’a pas hésité à revenir en Afghanistan pour effectuer des reportages sous haute tension, après le retour des Talibans à la tête du pays en août 2021.

Si la libération de Mortaza est le dernier souci de Joe Biden, que faudra-t-il attendre de l’appel lancé au gouvernement français ? Pas grand-chose apparemment puisqu’il semble que le régime des Talibans a coupé l’écoute avec les Occidentaux. En effet, depuis la fuite précipitée des troupes américaines et des autres supplétifs occidentaux, le retour au pouvoir des Talibans, en août 2021 a été suivi par la destitution du gouvernement soutenu par les États-Unis.

Ce qui se passe dans ce pays aujourd’hui remonte à 2001, date à laquelle les États-Unis ont envahi l’Afghanistan, quelques semaines à peine après les attaques de septembre 2001 à New York par des membres d’Al-Qaïda basés en Afghanistan. Depuis, plus de 2 400 soldats américains ont été tués, avant que Trump ne décide de mettre fin à la présence américaine dans ce pays.

Pour comprendre la genèse des Talibans, il faut juste revenir sur les errements macabres de la politique américaine en Afghanistan. Au début des années 80, les États-Unis apportèrent un soutien logistique important aux Afghans, engagés dans une guerre terrible contre l’Union soviétique. Un soutien qui passe par la fourniture des redoutables missiles Stinger sous les yeux intéressés des services secrets pakistanais.

Une fois les Soviétiques boutés hors des montagnes afghanes, les soldats de Gulbuddin Hekmatyar vont se retourner contre l’Amérique impie, accusée de persécuter les musulmans en Bosnie et en Somalie. La CIA, consciente des dangers que représente ce revirement va alors financer, avec le concours de l’Arabie saoudite et du Pakistan, la création des Talibans, avec trois objectifs à la clé : empêcher le retour des Russes, éradiquer les mouvements islamistes concurrents et instaurer en Afghanistan un régime religieux rigoriste mais stable, comme celui de l’Arabie saoudite.

Avec ces bouleversements géopolitiques, l’idée de la construction d’un gazoduc partant du Turkménistan et qui devait déboucher sur l’océan Indien en passant à travers l’Afghanistan, soutenue par le département d’Etat américain tout comme les lobbies pétroliers américains, va tomber à l’eau.

Autres temps, autres mœurs, c’est aujourd’hui l’Ukraine qui a remplacé l’Afghanistan dans la priorité des stratèges américains. Ce qui n’est guère encourageant pour la libération de notre confrère, prisonnier dans un pays retombé dans la préhistoire en matière de droits de l’homme et surtout de droits de la femme.

En effet, que vaut un hashtag, fut-il relayé par des millions de personnes chez des chefs de guerre qui ne connaissent que les vertus de la violence ? Il a fallu beaucoup de courage à Mortaza pour affronter les Talibans, armé d’une simple caméra quand ce n’est pas un ridicule stylo, mais lutter sans armes contre des injustices, ne peut marcher qu’avec des adversaires dignes de ce nom, hautement sensibles aux arguments moraux. Or si Ghandi ou Martin Luther King avaient eu à affronter les Talibans, nul doute qu’ils auraient tout bonnement été exécutés ou jetés dans des cachots horribles.

Abdellatif El Azizi