Chimène Badi : « Quoi qu’il arrive, tout va bien »

 Chimène Badi : « Quoi qu’il arrive, tout va bien »

crédit photo : Bobby Allin


La chanteuse revient après cinq ans d’absence avec un nouvel album, “Chimène”, dont elle avait présenté le single “Là-haut” lors du concours Destination Eurovision. Après une période compliquée, elle a eu besoin de retrouver simplicité et légèreté


Quelles étaient vos aspirations pour ce nouvel ­album ?


Je le voulais lumineux : chanter des chansons qui me font du bien. Avec une envie de parler des autres, même si finalement cela implique de parler de soi. J’ai suivi mon instinct. Je ne souhaitais pas raconter les cinq dernières années de ma vie, douloureuses, mais plutôt de véhiculer ce message : malgré les difficultés, quoi qu’il arrive, tout va bien. Le single Là-haut, que j’ai chanté lors du concours Destination Eurovision, m’a bouleversée. A travers son texte, j’ai retrouvé un proche que j’aimais beaucoup et qui nous a quittés il y a peu. Cela faisait longtemps que je n’étais pas tombée en amour pour une chanson. Elle m’a embarquée, apaisée, rassurée, redonné de l’espoir.


 


Musicalement, vous ne vous êtes pas bridée, en allant vers le rock par exemple, avec le titre ”Avance”.


C’était la première fois qu’on me laissait faire les choix. J’ai été la locomotive du disque et c’était gra­tifiant. Les morceaux sont nés lors de séminaires, j’étais entourée de compositeurs, d’auteurs, de top­liners (qui conçoivent les mélodies, ndlr).


 


Vous aviez perdu l’envie de chanter ces dernières années ?


Oui. C’était une période très difficile. Pour des raisons qui m’échappent, mon précédent disque, Au-delà des maux (2016), n’a pas trouvé son public. Il était très personnel, j’y ai réglé des choses douloureuses. Qu’il n’ait pas marché a été très déstabilisant, j’étais dans le doute, le flou en permanence. Je n’arrivais plus à écouter de la musique, je la haïssais, car elle ne me rappelait que de la douleur. J’ai une relation parti­culière avec elle, je chante parce que j’en ai besoin, c’est physique. Ce lien avec le public me manquait, car il me fait beaucoup de bien, il me remplit. Après ces moments sur scène, la vie peut paraître assez vide. J’avais l’impression de perdre pied, de ne plus gérer mon existence. J’étais éteinte et ne savais pas comment rebondir.


 


Vous avez néanmoins trouvé la force de revenir vers votre public…


Ce fut très compliqué de retrouver l’envie de chanter. La comédie musicale Cats et la tournée avec Julie ­Zenatti pour Méditerranéennes m’ont beaucoup aidée. Reprendre contact avec la scène, le public, chanter, être sur les routes… Ça m’a permis de tenir.


 


Lors de cette tournée “Méditerranéennes”, vous dites avoir pris un grand plaisir à chanter en arabe, en berbère, en hébreu, et à revendiquer vos origines ­algériennes…


J’ai toujours assumé mes origines, mais c’est vrai qu’avant ce projet, le public ne les connaissait pas ­vraiment. En parler autant à l’occasion de cette tournée, sur scène et dans les médias, m’a fait du bien, car on ­raconte vraiment qui on est. On défend une part importante de soi. Je me suis recentrée dans ma vie de femme et je me sens plus en accord avec moi-même. Je suis contente d’avoir pu chanter en kabyle, ma langue maternelle. C’est intéressant, rien que vocalement, cela nous transporte ailleurs, c’est un défi personnel. A 18 ans, l’âge de mes débuts, on a peur de tout, donc on se fait très discret. J’étais confrontée au racisme, je ne savais pas sur quel pied danser, comment réagir… Aujourd’hui, j’ai 36 ans, ça fait des années que j’exerce ce métier, et j’en ai compris les codes. J’ai confiance en moi et je m’assume. Ce n’est plus mon problème si ce que je dis est bien interprété ou pas.


 


Vous cultivez votre singularité, de manière générale ?


Oui. Gamine, je me sentais déjà très différente des autres. Ma mère me répétait que c’était bien et qu’il fallait cultiver sa différence. J’ai toujours suivi cette route. J’aime l’idée de ne pas faire comme tout le monde, de ne pas suivre la mode. Et j’ai besoin que chaque jour de ma vie soit différent.


 


Dans “Juste une femme”, vous affirmez ne pas vouloir d’enfant, sujet encore tabou…


J’adore les enfants, mais je n’ai jamais ressenti le désir d’en avoir. Quand mes copines jouaient à la poupée, j’étais déjà dans mon monde de chanteuse. Par la suite, ça ne s’est pas manifesté, et c’est très important de s’écouter. Il n’y a pas de jugement à avoir. Beaucoup de femmes le ressentent et se croient “anormales”. C’est pour elles que je tenais à composer cette chanson. J’en ai assez qu’on nous fasse avaler que l’accomplissement d’une femme passe forcément par la maternité. C’est lourd comme pression. Chacune doit mener son chemin comme elle l’entend. Et puis je ne me sens pas capable d’évoluer dans notre monde ­actuel avec un enfant. J’aurais peur pour lui, je lui transmettrais mes angoisses et le rendrais mal­heureux. Et si le temps passe et que le désir vient, j’adopterai. Tant d’enfants ont besoin d’une famille.


 


Quelle était votre ambition ici, vocalement ?


Ne pas rester sur mes acquis, apporter une couleur vocale nouvelle. Explorer une façon plus moderne de poser les mots. Je voulais raconter ces histoires à leur juste valeur, ne pas en faire trop, sans vibrato qui me casse la tête ! J’ai travaillé pour apporter une légèreté, avec cette envie de m’amuser, de respirer. C’est l’album du lâcher-prise. J’ai travaillé ma voix chaque jour pendant des années et j’ai eu des problèmes, j’ai dû m’arrêter pendant plus d’un an. Depuis, je fais attention, et elle n’a jamais été aussi en forme. Je ne veux plus tenter d’atteindre des notes inaccessibles. La sensibilité, l’émotion ne passent pas par là.


 


Qu’est-ce qui vous révolte ?


Les personnes qui dorment dehors, qui ont faim, les ignorants aux idées racistes… Je suis en colère contre beaucoup de choses. Mais j’essaye aussi de ne pas passer à côté de ce que la vie a de beau. C’est ce qui permet de ne pas être aigrie, frustrée, et de m’épanouir, d’avancer. Une lumière intérieure m’anime. J’ai arrêté de me faire du mal en me préservant des choses négatives. La vie m’effraye moins aussi. Je ne pourrai pas résoudre les douleurs du monde, mais j’aide les autres, à travers mon métier, pas forcément de manière médiatisée. J’accompagne par exemple des associations, comme Psychodon, qui lutte contre les préjugés autour des maladies mentales. 


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La rédaction du Courrier de l'Atlas