Billet. Tunisie. L’opposition centriste prend l’eau


L’opposition tunisienne n’avait pas besoin de ça. Déjà bien mal en point après la déroute des élections d’octobre dernier, puis les difficultés à s’unir, voilà que la principale force progressiste du pays s’entredéchire à moins d’un an des futures échéances électorales. La rupture entre le «Mouvement réformateur» et le Parti Républicain est consommée. 




 


Il y a deux semaines, nous avions déjà averti sur le péril que représentait pour le fraîchement créé Parti Républicain la crise germée qu’avait engendrée le 5ème congrès de l’ex PDP. Tout portait à croire qu’« Al Joumhouri » contenait en lui, dès sa naissance, son propre échec.


Alors que beaucoup de Tunisiens avaient cru à un semblant d’unification en front centriste de la nouvelle opposition, celle-ci leur a servi hier dimanche le tragique spectacle d’une famille politique en réalité plus que jamais décimée par les divisions internes.


Il faut dire que les faiblesses non résolues de l’ex PDP, dont a logiquement hérité le PR, avaient de quoi aiguiser les appétits des plus opportunistes : un déficit colossal d’1 million de dinars de frais de campagne, des leaders historiques qui n’ont pas tiré les conséquences de la bérézina électorale, et des pratiques népotiques et claniques en hausse d’après des témoignages de militants.


C’est le moment qu’a choisi le « Mouvement réformateur » pour tirer sur l’ambulance de l’union. En annonçant qu’elle se séparait définitivement du PR, cette nouvelle entité porte un coup dur à l’ensemble de l’opposition qu’elle bouleverse en la reconfigurant de fond en comble.


La « kotla » démocratique, groupe parlementaire comptant 21 députés (16 ex PDP, 4 ex Afek, et 1 indépendant), se scinde en deux camps et y perd beaucoup en termes de visibilité. Exit la discipline de parti : près de la moitié des élus ex PDP de la Constituante se vengent ainsi de ne pas avoir vu leurs succès électoraux transposés en postes d’importance à l’issue du congrès de Sousse. 


C’est un véritable putsch qu’ont réalisé les séparatistes de l’ex PDP, un parti dont ils se réapproprient le nom d’une façon posthume, comme pour agacer davantage encore leurs ex leaders.


Furieux, ceux-ci ont dénoncé dans un communiqué une campagne médiatique savamment orchestrée « dans laquelle les médias ont marché » selon l’une de nos sources au comité central du PR. Le PDP n’existe en effet plus en tant que tel. Annoncer sa « séparation du PR » a induit en erreur militants et opinion.


 


Mehdi Ben Gharbia en embuscade


Qui sont donc les trouble-fêtes sécessionnistes ? A l’exception de Mohamed Hamdi, élu et vieux routard du PDP, et des jeunesses de l’aile droite nationaliste du parti, pratiquement tous sont de nouveaux arrivants. 


A l’image de Mahmoud Baroudi, Moncef Cheikhrouhou, mais surtout de Mehdi Ben Gharbia, personnage clé pour comprendre les enjeux réels des vicissitudes auxquels nous assistons aujourd’hui.


Figure inconnue du grand public il y a quelques mois, ce riche homme d’affaires n’en est pas à sa première controverse. Dès sa nomination en tête de liste PDP à Bizerte en septembre 2011, il provoque la démission en bloc des membres du bureau régional du parti.


Aujourd’hui vice-président de la Commission des martyrs et des blessés de la Révolution, il vient d’acquérir l’illustre Club Athlétique Bizertin, signe d’une ascension fulgurante tant dans le monde politique que celui des affaires.


Il est qualifié depuis hier de « cheval de Troie d’Ennahdha » par les fidèles du nouveau Parti Républicain. Un surnom que lui vaut son appartenance passée et précoce au parti islamiste qu’il intègre dès son adolescence.


Condamné en 1994 à 7 ans de prison pour cette appartenance sous Ben Ali, il en purgera 5, même si au moment où il est incarcéré, il affirme rétrospectivement qu’il avait quitté cette mouvance. Reste qu’il avoue volontiers qu’il a maintenu des rapports privilégiés avec des codétenus compagnons de route n’ayant pas renoncé comme lui à l’islam politique.


C’est Ben Gharbia qui annonçait le premier hier sur son compte twitter : « Le courant réformateur du PDP décide de se séparer du parti Joumhouri. » Il n’en fallait pas plus pour nos sources à l’ex PDP de le désigner comme le cerveau idéologique, logistique et financier de la division au sein du Parti Républicain. Une aubaine qui arrange évidemment de facto Ennahdha et la troika au pouvoir.


Service contingent rendu au pouvoir ou ingratitude déloyale ? Nul ne peut trancher à l’heure qu’il est, même si confronté à Issam Chebbi au cours du journal télévisé de 20h00 dimanche, Ben Gharbia a fait usage d’un ton de la défiance et a donné l’image d’une ambition politique qui s’affirme.    


 


Le leadership paye aussi pour ses erreurs


En attendant, le Parti Républicain est la risée des réseaux sociaux en raison d’une débâcle qui aurait pu être évitée de l’avis de nombreux analystes :


« Questions pour un champion : je suis un parti qui a 21 élus paumés dans une assemblée de 217 dans un pays qui part de travers. La moitié de mes élus menace de partir, mais je n’arrive pas à m’enfermer dans une salle avec eux jusqu’à trouver un accord, qui suis-je ? » Pouvait-on lire parmi les quelques facéties méritées de la veille. 


Le manque certain de diplomatie n’est pas le seul en cause. A force de surfer sur des thèmes droitiers de l’identité arabo-islamique, l’obsession de « l’entité sioniste » (expression employée à presque tous les discours de Maya Jribi), et faute d’une ligne laïque progressiste claire, le parti récolte aujourd’hui une génération de jeunes radicaux très portés sur le nationalisme arabe, comme en témoignent les chants libanais qui ont ponctué la réunion « contre-congrès » du 29 avril à Sousse.   


Dans ces conditions, à la lumière de ces nouvelles divisions, l’opposition tunisienne a-t-elle intérêt à ce que les élections aient lieu dans 1 an ? Il est permis d’en douter, d’autant qu’à gauche, l’autre coalition VDS autour d’Ettajdid a, elle aussi, reconduit ses vieux éléphants et peine à se renouveler.


Seif Soudani




 

Seif Soudani