Culture. Meziane Azaïche, créateur du Barbès Café : « Je voulais travailler sur la mémoire »

 Culture. Meziane Azaïche, créateur du Barbès Café : « Je voulais travailler sur la mémoire »

Meziane Azaïche : « Tout le monde se retrouve dans les anecdotes de « Barbès Café ». Pas un soir ne passe sans que je voie des gens danser et pleurer ». DR


Meziane Azaïche, franco-algérien, est le créateur du Barbès Café. Ce spectacle original mêle théâtre, musique et séquences vidéo autour d’un thème, l’histoire de l’immigration nord africaine en France. Actuellement au Cabaret Sauvage avant une tournée à travers toute la France, puis au Maghreb, Meziane nous raconte son spectacle.




 


Le Courrier de l’Atlas : Comment ce spectacle qui traite de l’immigration nord-africaine en France est-il né ?


Meziane Azaïche : Il est né d’un désir de travailler sur la mémoire. L’envie de faire partager aux enfants l’histoire de leurs grands-parents. En même temps, je voulais rendre hommage à ces jeunes artistes qui ont travaillé en France et qui font partie intégrante du patrimoine français et maghrébin.


Parler de ce qui se passait pendant la guerre d’Algérie mais aussi de ceux qui l’ont quittée. Ils se sont retrouvés avec leur guitare, dans des cafés, à jouer pour noyer leur nostalgie, d’avoir quitté leur pays, leur famille. Ils retrouvaient de la joie dans ces bistrots en chantant leurs malheurs.


Ces chansons, que nous reprenons dans le spectacle sont toujours d’actualité aujourd’hui, évoquent immigration, travail, injustice… Des problèmes actuels, surtout en période d’élections, lorsque la boutique électorale ouvre ses portes. Certains veulent nous faire voter pour qu’on récupérer nos voix, d’autres veulent nous expulser pour qu’on vote pour eux.


 


Le café est au centre du spectacle. Que représente-t-il pour les immigrés ?


Le café à l’origine pour les immigrés, c’est le salon. C’est l’endroit où ils regardaient la tv, où ils trouvaient les informations qui leur parlaient du bled, là où ils récupéraient leur courrier. Leur chambre d’hôtel, ils n’y rentraient que pour dormir, tout se passait dans le café. C’était un peu l’assemblée nationale. Pendant la guerre d’Algérie, c’est là que les immigrés envoyaient des fonds à leur famille au pays. Les réunions politiques s’y tenaient également. La salle du Cabaret Sauvage s’y prêtait très bien, on a recréé un véritable café.


 


Pourquoi avoir choisi de mettre une Française au cœur du récit ?


Souvent, dans les bistrots arabes, on trouvait une Française, d’abord serveuse puis parfois elle passait derrière la caisse, avant de devenir patronne. Dans la pièce, tout passe par elle. Au départ, elle est rejetée par une clientèle essentiellement masculine, mais au fur et à mesure ils se rendent compte qu’elle est à l’écoute. Elle s’intéresse à cette culture, elle essaye de s’intégrer et très vite elle devient la confidente. Elle finit par prendre la parole et distribuer le courrier. Elle est le fil rouge du spectacle.


 


Dans ce spectacle, vous mêlez musique, théâtre et séquences vidéo. N’était ce pas risqué de changer les habitudes des gens ?


J’ai toujours aimé le risque, je savais que ça pourrait bousculer certaines habitudes. En général, chacun est à sa place. Ici, chacun doit trouver sa place, mais la mise en scène mélange à merveille les trois ingrédients. Chaque élément renforce l’artiste et donne un équilibre assez magique. Car, au final, c’est toujours l’homme qui gagne. On donne plus de place aux musiciens et à la comédienne, les images ne viennent que renforcer, elles ne sont pas là pour les remplacer. C’est un plus. Ces chansons ont été chantées par des millions de gens avant nous. La différence, c’est qu’on leur donne un espace de vie.


 


Ce spectacle s’appuie sur des souvenirs personnels, sur votre vécu ?


Oui, il y a beaucoup de faits que j’ai vécus à mon arrivé en France, d’autres que mon père a vécu. Dans le spectacle, il y a une lettre qu’un Algérien écrivait à son père et la lettre de son père qui lui répond. Ce n’est pas la mienne, mais cette lettre, je l’ai reçue 25 fois.


Lors de l’élection de François Mitterrand, beaucoup de gens ont été régularisés, dont moi. Tout le monde se retrouve dans ces anecdotes. Pas un soir ne passe sans que je voie des gens danser et pleurer. Ça les trouble, ça leur évoque des moments émouvants.


 


Vous jouez la pièce au Cabaret Sauvage jusqu’au 24 février, et après ?


Après, nous entamons une tournée à travers toute la France jusqu’en 2013. Ensuite, nous irons jouer en Tunisie puis au Maroc. Pour l’Algérie c’est encore en tractation. C’est plus difficile de jouer là-bas. Je viens d’en revenir après avoir rencontré les gens du ministère qui veulent absolument qu’on joue là-bas mais à condition de traduire tout le spectacle en arabe.


Je trouve ça dommage, ça perdrait de son sens. Et puis là, nous avons une Française qui tente de s’intégrer dans la culture, qui se bat pour ces gens. On s’appuie sur des faits historiques réels. Il y avait des Français qui défendaient les immigrés, certains étaient pour l’indépendance de l’Algérie.


Il faut comprendre que tout n’est pas noir ici. On entend parfois des choses humiliantes sur nous, mais si on est toujours là, c’est qu’on se sent bien ici.


Propos recueillis par Jonathan ardines




 

Jonathan Ardines