Découvertes pétrolières en Tunisie, pourquoi le gouvernement reste discret ?

Deux importantes découvertes pétrolières et gazières sont quasiment passées inaperçues en Tunisie, respectivement à la fin du mois de mars dernier et, plus récemment, le 10 juin dernier, respectivement dans les régions de Bouhajla et du Ala, toutes deux situées dans le gouvernorat de Kairouan (centre-est tunisien). Si le relatif silence des médias nationaux peut être imputé à la très dense actualité post révolution du 14 janvier, le mutisme du gouvernement a toutefois poussé Le Courrier de l’Atlas à mener l’enquête sur place.

Une explication avant tout politique

Retour sur l’annonce du 25 mars 2011. Ce jour-là, Reuters signale que la société pétrolière et gazière canadienne de production d’énergie DualEx Energy International a annoncé que l’évaluation préliminaire du projet de forage de pétrole dans la zone Bouhajla ont montré qu’ils contiennent la quantité considérable de plus d’un milliard de barils de pétrole, c’est-à-dire de quoi couvrir les besoins de la Tunisie pendant une quinzaine d’années..

Contactée par nos soins, la compagnie confirme que ses évaluations préliminaires montrent qu’il existe bien « environ 1,03 milliards de barils  de pétrole ». Gary Hidas , le PDG de l’entreprise, avait affirmé que les travaux se dérouleront dans la zone Bouhajla nord. Il a également annoncé que la société évaluera le projet par une enquête sismiques en trois dimensions, à l’aide d’un champ magnétique, pour établir avec certitude que les terres kairouanaises contiennent du pétrole.

Confirmation là aussi de la part des riverains cette fois qui se sont plaints des nuisances à répétition ces derniers mois, occasionnées par le ballet des camions géants (en provenance de Norvège selon des témoins) et de l’imposant outillage nécessaire aux forages et aux tests. Mais la grogne sur place trouve d’autres raisons : il semblerait en effet que dès 2010, les autorités locales, la préfecture de Kairouan essentiellement, ont touché des compensations financières conséquentes de la part de la société canadienne au titre de dédommagement pour l’exploitation de la zone, une opération toujours néfaste pour les terrains concernés appartenant souvent à des locaux. Selon ces derniers, la corruption d’avant la révolution fait qu’ils n’ont toujours rien vu de cet argent qui leur est dû.

Première gène donc des autorités qui se trouvent d’autant plus dans l’embarras que, comme beaucoup de gouverneurs et de délégués, ceux qui ont senti le vent tourner au lendemain du 14 janvier ont ordonné de brûler des pans entiers d’archives compromettantes.

Ironie du sort, le champ pétrolifère en question était baptisé Champ du 7 Novembre…

Après plusieurs tentatives, nous avons réussi à joindre un directeur adjoint à l’Entreprise Tunisienne d’Activités Pétrolières (ETAP) dont dépendent les activités pétrolières tunisiennes, entreprise étatique elle-même sous la tutelle du ministère de l’Industrie et de la Technologie.

Préférant garder l’anonymat, il nous a confié que la région de Kairouan étant depuis quelques années déjà une région économiquement en berne et sinistrée par endroits du fait d’une centralisation de l’économie industrielle à Sfax et dans la capitale (Kairouan ne compte que deux grandes usines de tabac et d’assemblage de voitures utilitaires qui emploient l’essentiel de la jeune population active), « les habitants locaux ont de grandes attentes légitimes concernant l’industrie lourde dont peut venir le salut de la région, mais nous ne voulons pas leur donner de faux espoirs à ce stade où ces projets sont encore à l’étude » s’est-t-il justifié, en tempérant sa prudence cela dit en nous assurant qu’une annonce officielle d’un accord n’attend plus que la stabilisation de la Libye voisine.

Car c’est dans la politique étrangère et internationale et la géopolitique que se trouve l’autre explication du silence du gouvernement tunisien de transition.  

Sonde Resources Corp, aussi basée à Cagliari au Canada, vient d’annoncer qu’elle croit que c’est faisable de développer le champ pétrolier de quelque 768 mille acres. Or ce champ est partagé par la Tunisie et la Libye (il se trouve à une profondeur d’entre 80 et 120 mètres dans le large de la Méditerranée).

Ses ingénieurs jugent que le champ Zarat contient près de 362 millions de barils de pétrole brut condensée en place, et quelques 981 bcf de gaz, 50% de dioxyde de carbone dans sa partie Sud. La partie du Nord de la portion du champ n’étant pas encore évaluée. De toutes ces valeurs, 207 millions de barils de pétrole et 471 bcf de gaz tombent dans la partie tunisienne.
La même entreprise souligne aussi que ni sa direction, ni le gouvernement tunisien ni non plus Joint Oil (le partenaire) n’ont approuvé un plan précis de développement. La société Sonde et ses conseillers comptent approuver un plan consistant à préparer les étapes à venir permettant de démarrer les travaux au niveau du champ vers la fin 2011.

Le gros hic, c’est que Joint Oil, société qui contrôle la partie appartenant à la Libye dans ce champ, est proche du clan Kadhafi et considérée comme partie concernée par les sanctions approuvées par les Nations Unies, adoptées il y a quelques semaines contre la Libye. Ce qui empêche Sonde, partenaire de l’état tunisien, de démarrer ses activités jusqu’à ce que les sanctions soient levées. Pas avant la fin de l’intervention de l’OTAN donc, ce qui explique la posture des officiels tunisiens qui restent en attendant dans l’expectative.

Enfin, comme à chaque annonce de découverte pétrolière, les Tunisiens espèrent que cela influera sur le coût des carburants jugé très élevé par rapport au revenu moyen. Cela empêcherait en outre que ne reprenne le trafic d’essence à la frontière avec la Libye, un trafic souvent tentant pour les jeunes de la région de Ben Guerden qui le préfèrent à la recherche d’un emploi moins précaire mais aussi moins bien rémunéré.

S.S.

Seif Soudani