Deux Tunisiens sur trois ne savent pas pour qui ils vont voter Ennahdha prend le large

Devant un panel des grands jours, invité à une conférence de presse à l’hôtel Golden Tulip de Tunis, composé de dizaines de journalistes et de membres de l’Instance indépendante pour la réforme de l’information aux petits soins, 3C Etudes, prestigieux institut d’études marketing et de sondages d’opinion, entendait mettre fin à la confusion qui régnait dans le secteur, tout en y réaffirmant sa place de leader.

Il faut dire que le timing est doublement propice : à l’approche des premières élections libres de l’histoire de la Tunisie (celles de l’Assemblée constituante), des instituts de sondages concurrents, moins sérieux dans leurs méthodes selon 3C et employant des procédés peu fiables, auraient été irresponsables en publiant des enquêtes d’opinion non représentatives (statistiquement, géographiquement, etc.) de la société tunisienne. Des approximations qui auraient entraîné les spéculations les plus néfastes selon Hichem Guerfali PDG de 3C : non seulement les sondages erronés trompent les annonceurs et biaisent les velléités d’alliances politiques, ils empoisonnent la vie politique et plus généralement la jeune démocratie tunisienne en orientant potentiellement les votes. L’occasion était donc belle pour le jeune PDG de faire une sortie médiatique histoire de rectifier le tir et assoir son image de marque.

Des révélations surprenantes

Quand vint le moment de la projection des résultats de la double enquête événement, certains chiffres n’ont pas manqué d’interpeller l’audience par le fossé qui les sépare notamment du dernier sondage en date, celui de Sigma Conseil.

Les taux d’audience des chaînes TV en Tunisie d’abord. Première surprise, du 6 au 13 juin derniers, des échantillons beaucoup plus conséquents en taille et territorialement plus précis annoncent Nessma TV à 36%, au lieu des 5% annoncés il y a quelques mois… Hannibal TV n’est pas en reste en s’installant dans une confortable seconde position à 51%, derrière la TV nationale Watanyia 1. Une chaîne que l’on croyait décimée par la perte de crédibilité présumée après les accusations récurrentes de partialité pro gouvernement ayant survécu à l’ère Ben Ali, mais qui rebondit grâce aux records d’audience du journal télévisé, plus suivi que jamais par les Tunisiens depuis la révolution.

Deuxième enseignement de taille, selon le sondage politique cette fois, contrairement à ce qu’annonçait Sigma sur un échantillon beaucoup plus réduit de 1000 votants, près de 66%, soit les deux tiers des électeurs tunisiens, n’ont encore pas la moindre idée pour qui ils voteront en octobre prochain. Moins surprenant, le parti Ennahdha arrive toujours en tête des intentions de vote, mais le « gap » qui sépare le parti de ses premiers poursuivants serait nettement plus prononcé, avec un PDP à peine à 5% d’intentions de vote sur un plan national.

Hichem Guerfali a clôturé la conférence en revenant sur un début de polémique autour des sondages à l’approche des échéances électorales. Devant l’amateurisme tant des autres instituts naissants que des médias qui « gobent tout ce qu’on leur raconte dans les sondages », il a suggéré deux solutions. La première, la moins réaliste étant donné les trois mois qui nous séparent de la Constituante, consisterait à former des journalistes tunisiens dans des ateliers dédiés, à savoir démystifier les sondages à travers quelques points clé universels permettant de juger de leur crédibilité.

Lui et son adjointe, Fabienne Blanchard, s’y sont même engagés bénévolement en cas de demande en ce sens de la part du secteur ou des autorités. La seconde, plus souhaitable selon lui, serait l’instauration d’une instance de supervision des sondages d’opinion politiques, qui pourrait décider de l’interdiction pure et simple de ce type de sondage avec le début des campagnes électorales. Plutôt radicale, cette solution reste une alternative souhaitable en l’absence de laps de temps suffisant permettant d’éviter des cafouillages et des commandes de sondages orientés. Un moindre mal que l’un des membres de la commission de la réforme des médias, Ridha Kéfi, nous a confié qu’il s’apprêterait à recommander au gouvernement de transition.

Seif Soudani

 

Un institut bientôt coté à la bourse de Paris

Ainsi Hichem Guerfali a consacré son introduction à un bref retour sur l’historique de son institut. Crée dès 2002, l’entreprise connait une croissance éclair dopée par la demande, à tel point qu’en 2008 elle est en passe de devenir la première société tunisienne à être cotée à la bourse de Paris, avant d’y renoncer face à la crise économique. Son plus haut fait d’armes est d’avoir réussi à faire l’acquisition d’une filiale de l’illustre institut de sondage français BVA, en absorbant Actudes. Autre grand succès dont peut se prévaloir l’entrepreneur tunisien, celui d’avoir été retenu en 2007 parmi les 5 instituts de sondage à couvrir les présidentielles de 2007 en France. Une précieuse autorisation qui aurait fait pâlir d’envie les dizaines d’instituts français en compétition à l’époque.

Par ailleurs le PDG a insisté sur le fait que sa boîte fait appel à des protocoles scientifiques stricts dans cette science « plus ou moins exacte » de l’enquête d’opinion dit-il : là où ses concurrents emploieraient des méthodes parfois douteuses comme l’emploi saisonnier d’étudiants « postés dans les cages d’escalier » confirmé par le témoignage de journalistes présents ce matin, 3C utiliserait des méthodes autrement plus modernes de sollicitation couvrant tout le territoire sur la base de listings téléphoniques fixes et mobiles, et a même engagé un huissier de justice pour faire constater la fiabilité de ses méthodes. « Notre chiffre d’affaires est de loin le plus élevé, et nous employons pas moins de 200 personnes » s’est-il enfin plu à rappeler.

S.S.


Sondage 3C Etudes (du 6 au 13 juin 2011)

Intentions de vote :

Ne sait pas / N’a pas encore décidé : 36,2%

Ne connaît pas encore bien les partis pour pouvoir décider : 31,3%

Total des indécis : 67,3%

Ne compte pas voter (abstention) : 4%

Ennahdha : 14,3%

PDP : 4,7%

FDTL (Attakattol) : 1,6 %

CPR : 1,3%

PCOT : 0,8%

Afek Tounes : 0,2%

 

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Audience médias :

Quelle chaîne avez-vous regardé ces dernières 24h :

Watanyia 1 : 71%

Hannibal TV : 51%

Nessma TV : 36%

 

Taux d’audience des médias en parts de marché pour le grand Tunis :

Watanyia 1 : 28%

Hannibal TV : 20%

Nessma TV : 13%

 

 

Seif Soudani