France. Interview de Samia Ghali : « À 12 ans, ils n’ont plus aucune notion du bien et du mal »

 France. Interview de Samia Ghali : « À 12 ans, ils n’ont plus aucune notion du bien et du mal »

Samia Ghali

Samia Ghali est maire du huitième secteur de Marseille et sénatrice des Bouches du Rhône. Pour le Courrier de l’Atlas, elle évoque sans langue de bois « la situation dramatique » dans laquelle est plongée la cité phocéenne.

 

LCDA : Les drames se succèdent à Marseille entre meurtres, agressions, règlements de compte… Quelle est la situation réelle dans la cité phocéenne ?

Il y a une situation dramatique à Marseille qui n’existe nulle part ailleurs. Malheureusement, ça va de mal en pis. La violence ne cesse de grimper. La faute à des policiers qui ne passent jamais dans les quartiers nord de la ville. La police municipale n’existe pas et on voit de temps en temps la police nationale.

Les forces de l’ordre ont déserté les quartiers sensibles pour se concentrer uniquement sur le centre ville. Cela a laissé le pouvoir à une délinquance de plus en plus jeune dans les quartiers. A 11 ou 12 ans, certains n’ont jamais vu de policiers. La loi, ce sont eux qui la font.

 

Comment expliquez-vous que les jeunes se tirent dessus avec des armes de guerre ?

Ce qui se réglait avant avec les poings se règle maintenant avec la kalachnikov. Au départ, ils veulent se protéger, car il y a des risques avec le trafic de drogue. Ainsi, petit à petit, les jeunes se sont armés dans les cités.

La presse en parle seulement quand il y a un mort, mais des blessés par balles, il y en a tout le temps. Je vois des jeunes de 12 ans qui n’ont plus aucune notion du bien et du mal. Ils tirent sur leurs collègues sans vouloir leur donner la mort. Ils disent qu’ils ne voulaient pas les tuer, en tirant avec une kalachnikov !

 

Comment en est-on arrivé là ?

Dans des quartiers comme la Castellane ou Bassens, il n’y a pas de possibilité de réussite. Les parents veulent partir de ces cités pour donner une chance à leurs enfants. Ils gardent un espoir au fond d’eux, mais c’est comme espérer qu’au milieu de tuberculeux, votre gosse n’attrape pas la tuberculose.

Nous sommes dans une situation insoutenable. Certaines écoles ne remplacent pas les professeurs absents. Les jeunes abandonnent l’école pour se tourner vers le trafic de drogue. Les dealers en profitent. Ils les emploient comme guetteurs, et ainsi commence le cercle vicieux.

 

Quelles solutions proposez-vous pour remettre les jeunes dans la bonne direction ?

Je prône un retour à l’armée pour remettre de l’ordre. Un encadrement militaire pour tous les jeunes qui arrêtent l’école très jeune. Il faut les obliger à sortir des cités et à retourner progressivement dans le cursus scolaire.

Quand ils décrochent à 15 ans et qu’ils commencent à amasser de l’argent, ils ne veulent plus revenir. Les parents ont du mal. Certains se battent sans relâche, d’autres démissionnent, mais il y aussi ceux qui acceptent cette situation. Il faut leur venir en aide.

 

A l’instar de Stéphane Gatignon (EELV) ou certains responsables socialistes, pensez-vous qu’il faudrait dépénaliser l’usage du cannabis pour mettre à mal le trafic ?

Je suis totalement opposée à cette idée. Si on dépénalise, les dealers trouveront un cannabis plus fort. Et après, on fera quoi ? Il faudra dépénaliser chaque drogue qui se vendra dans la rue ?

En plus, les jeunes qui n’y touchent pas aujourd’hui finiront par se tourner vers le haschisch. Je viens des quartiers, j’ai beaucoup d’amis qui sont morts à cause de la drogue.

Et puis, cela ouvrirait la porte à tout et à n’importe quoi. Est-ce qu’on va légaliser les armes après ? Il faut faire très attention avec ce genre de discours.

 

Que faire alors pour mettre un terme au trafic de drogue ?

Il faut mettre les moyens, et donc mobiliser davantage de policiers pour mener des enquêtes approfondies. Les grands immeubles doivent être démolis.

8 000 personnes vivent à la Castellane ; les policiers n’y pénètrent même pas. Il faut casser tout ça, il faut aérer. Dans les endroits où les grands ensembles ont été détruits pour laisser la place à de petits immeubles, le trafic a nettement diminué.

Le maire de Marseille, M. Gaudin, préfère que « les trafiquants et les voyous se tuent entre eux », voilà ce qu’il a dit. Vous vous rendez-compte de la portée de ce discours ?

Autant dire directement qu’il veut rétablir la peine de mort.

 

Le ministre de l’Intérieur Claude Guéant s’est souvent déplacé, un nouveau préfet nommé par Nicolas Sarkozy est arrivé ; qu’est-ce qui a changé ?

Rien du tout. M. Guéant fonctionne en fonction de l’électorat, il parle beaucoup mais ne nous donne aucun moyen. Le préfet fait avec ce qu’il a et il respecte les consignes ; on lui a dit de s’occuper uniquement du centre ville de Marseille, c’est ce qu’il fait.

Propos recueillis par Jonathan Ardines

Jonathan Ardines