Maroc – Le dernier combat du captain Ni’mat, sulfureux et censuré

 Maroc – Le dernier combat du captain Ni’mat, sulfureux et censuré

Le dernier combat du captain Ni’mat

Sulfureux, mais scandaleusement bon ! Tel est le verdict des rares privilégiés qui ont lu le roman de l’écrivain Mohamed Leftah, publié à titre posthume. Privilégiés parce qu’ils ont pu accéder à un exemplaire du roman qui, actuellement, fait un tollé car censuré au Maroc.

« Le dernier combat du captain Ni’mat » raconte la passion débridée d’un militaire égyptien à la retraite et de son jeune domestique nubien. En attendant que le roman interdit puisse arriver à bon port, les lecteurs de l’Hexagone peuvent se délecter de cette merveille littéraire, publiée à titre posthume chez la Différence. Un peu comme tous les romans de cet écrivain qui avait cumulé les manuscrits jugés obscènes par certains.

Quand, grâce à Edmond Amran Elmaleh, il arrive à se faire lire par l’éditeur Joachim Vittal, ses manuscrits sont publiés l’un après l’autre. Même ses nouvelles sont éditées. On n’en laisse pas une miette.

Une œuvre méconnue

Mais, au Maroc, on ne peut mettre la main que sur un ancien Roman, « Les demoiselles de Numidie » republié par Tarik éditions et un récit épique « Hawa », publié à titre posthume et racontant le capharnaüm de Bousbir, le quartier réservé de Casablanca. L’auteur reste méconnu, même de ses confrères, alors qu’il a tout l’air d’être l’un de ces grands écrivains qui deviennent témoins éternels de leur époque.

C’est en France que la plupart des lecteurs ont pu dénicher ses différents romans, aussi talentueux et bouleversants les uns que les autres. Le lectorat français, lui, noyé dans la production, ne se doute pas d’avoir, à portée de main, une œuvre aussi sublime. Au Maroc, on se passe les exemplaires comme des publications illicites, alors que leur valeur littéraire fait l’unanimité. Le prix de La Mamounia 2011 a d’ailleurs été décerné à cet auteur.

Peut-on croire au changement lorsqu’une œuvre littéraire est sujette à la censure par un fonctionnaire fantôme qui hante la lourde administration publique ? Questionné à propos de la censure du Captain Ni’mat par le quotidien arabophone Achourouk, le ministre de la « Communication » a répondu : « N’avez-vous donc rien de mieux à faire ? Je m’occupe de grandes affaires de la Nation, pas de « tafahate » [futilités]».

A la recherche du responsable de cette censure, l’hebdomadaire Actuel a mené l’enquête. Les éditions de la Différence ont affirmé que Sochepresse a bel et bien commandé 250 exemplaires… qu’il a renvoyés à l’expéditeur ! Aucun argument plausible n’est trouvé et le magazine finit par conclure que « cette volonté de régenter les cerveaux est aussi un symptôme d’une société qui refuse d’avancer. Ce n’est plus le Makhzen qui pilonne, mais des mini-caïds qui croient savoir ce qui est bon pour autrui ».

Une pétition contre la censure

Impossible de passer cela sous silence. Les amis de la culture en ont assez d’attendre ces réponses qui ne viennent jamais. Au premier rang, l’écrivain Abdellatif Laâbi lance un appel intitulé “Levez l’interdiction sur le livre de Mohamed Leftah !”, accompagné d’une pétition signée d’auteurs et de lecteurs marocains.

[Depuis sa parution en France en décembre 2010, Le Dernier Combat du captain Ni’mat, roman posthume de l’écrivain marocain Mohamed Leftah, est introuvable dans nos librairies. Le fait que ce livre ait été, vu ses qualités littéraires exceptionnelles, couronné récemment par le prix de la Mamounia n’a rien changé à la situation. Par ailleurs, les demandes d’éclaircissement adressées à ce sujet par nombre d’organes de presse au ministre de la Communication sont restées lettre morte. La conclusion qui s’impose est que nous avons bel et bien affaire à une mesure d’interdiction.]

L’état de la culture au Maroc est au plus bas depuis des décennies. Les quelque activistes culturels du pays y voient un symbole de la dictature et une politique préméditée d’appauvrissement culturel du peuple. Lever la censure sur l’expression littéraire, dans la conjoncture actuelle, constituerait un signe fort de la volonté de sauver le Maroc de sa misère intellectuelle.

Fedwa Misk

Fadwa Miadi