Monde Arabe. Mountada Echarq, un mystérieux et puissant think tank qui surfe sur le Printemps arabe

 Monde Arabe. Mountada Echarq, un mystérieux et puissant think tank qui surfe sur le Printemps arabe

Au centre de l’ambitieux projet Mountada Echarq

Discrètement, Mountada Echarq, un grand projet à mi-chemin entre un think tank et un réseau d’influence international, a été lancé à Tunis en présence de Moncef Marzouki et d’un groupe d’intellectuels et d’hommes politiques du monde arabe. Au centre de cet ambitieux projet, un personnage aussi sulfureux qu’opaque : Wadah Khanfar, l’ex directeur général d’Al Jazeera Network.

 

Sur son site officiel en anglais, The Sharq Forum se définit officiellement et laconiquement en ces termes : « Réseau international indépendant, à but non lucratif, fondé suite aux récentes vagues de mutations globales et régionales et à la lumière des nouvelles transformations géostratégiques ».

Il définit ses activités comme suit : « Ce siècle a déjà été le théâtre de profonds changements qui, tel un séisme, ont secoué le monde arabe. Cela constitue une opportunité unique pour établir de nouvelles formes de gouvernance éclairées, désormais à la portée de nos sociétés qui aspirent à se libérer de la tyrannie, à la démocratie et la prospérité économique. Le forum engagera des travaux en ce sens, en formant des groupes de travail mobilisant des penseurs et des figures influentes, au cœur de cette dynamique inédite. »

S’il se considère comme « strictement non partisan », plus loin, le Mountada ne cache pas sa volonté de soutenir les divers « mouvements d’opposition de la région », notamment dans la transition qui les conduira de l’opposition à la gouvernance.

 

Un esprit résolument missionnaire qui ne date pas d’aujourd’hui

A peine 4 mois après sa démission avec fracas d’Al Jazeera, l’insatiable Wadah Khanfar se lance donc dans une nouvelle aventure. Une démission que l’on dit, malgré les démentis de l’intéressé, largement motivée par de compromettantes révélations de Wikileaks en septembre 2011.

Le site d’Assange avait révélé des câbles diplomatiques américains montrant l’implication directe de Khanfar dans diverses négociations avec les autorités US, en vue d’influencer la couverture de la guerre en Irak d’une façon favorable à la politique étrangère américaine.

En juillet 2009, Wadah Khanfar entreprend une tournée aux Etats-Unis, à l’invitation de plusieurs think tanks aussi prestigieux que le Middle East Institute, New America Foundation et le Council on Foreign Relations. Il rencontre également plusieurs dignitaires politiques officiels de la Maison Blanche.

Cela avait marqué un tournant dans la politique de la présidence Etats-Unienne : Obama souhaitait entamer une nouvelle ère de collaboration avec la chaîne et ses réseaux, un véritable dégel après la décision de l’administration W. Bush de la boycotter plusieurs années durant.

 

Les premières critiques fusent

Ainsi donc, le lieu hautement symbolique du lancement en dit long sur les ambitions d’un Khanfar que l’on dit mégalomane. En choisissant la Tunisie, épicentre révolutionnaire, comme plateforme de lancement de son dernier bébé, il envoyait un message clair : continuer à être non seulement au centre mais à l’avant-garde des mutations régionales dont il entend manifestement rester un acteur majeur.

Si le Mountada a plutôt bonne presse au Qatar, quelques internautes n’ont pas manqué de pointer du doigt sur les réseaux sociaux le caractère élitiste de l’organisation. Si le membership est en effet officiellement ouvert aux « forces politiques, aux intellectuels engagés et aux mouvements activistes de la société civile », le premier cercle reste constitué par le noyau dur des proches de son charismatique président.

Un président que l’on dit pas si « non partisan ». Connu pour être proche des sphères dirigeantes de l’islam politique dans le monde, il s’est constitué un solide carnet d’adresses après 8 ans passés dans les coulisses d’Al Jazeera, chaîne elle-même au cœur du dispositif médiatique qatari en faveur de l’opposition islamique dans le monde arabe.

Nul doute que le jordano-palestinien de 43 ans fera partie des gens « qui comptent », à suivre de près durant la prochaine phase test de gouvernance islamique dans la région, aujourd’hui en état de grâce mais dont l’opacité, notamment à travers des activités associatives controversées, est une arme à double tranchant. Derrière les slogans et les intentions fleuves, nous scruterons les faits.

Seif Soudani

Seif Soudani