Tunisie – A quoi joue Ettakatol ?

On en dit souvent que c’est le parti d’un homme, que Mustapha Ben Jaafar a fait du FDTL (Ettakatol) un parti sur-mesure pour ses aspirations présidentielles. Mais jusqu’où cet homme est-il prêt à aller pour assouvir ses ambitions personnelles ? C’est la question que se posent observateurs politiques et même militants du parti, depuis le récent flou qui entoure, sciemment ou pas, les orientations idéologiques du parti et ses futurs choix d’alliances éventuelles. Des choix qui, on y reviendra, sont limités.

Une lutte fratricide avec le PDP

Et si le positionnement face au frère ennemi de toujours, le PDP, était finalement la source de tous les maux ? Deux grands partis social-démocrates, deux chefs de parti avec des carrures de présidentiables (tous deux empêchés en 2009 d’être candidats sous Ben Ali) et le leadership disputé du camp progressiste ; il n’en fallait pas plus pour que les deux grands partis de centre-gauche tunisiens se mènent une guerre sans merci qui date d’avant la révolution.

Les contentieux sont nombreux mais méconnus hors militants respectifs des deux partis. Il n’aura pas échappé néanmoins au grand public qu’Ahmed Néjib Chebbi n’a pas du tout apprécié d’être lâché par son homologue qui, en ne souhaitant pas participer au premier gouvernement transitoire en janvier dernier, aura affaibli un peu plus un gouvernement que Chebbi avait dû se résoudre à quitter rapidement.

Plus récemment, ce qui fait le buzz dans le web tunisien sur lequel le FDTL a choisi de tout miser pour son effort de campagne (contrairement au PDP qui continue d’occuper la rue malgré la mise en garde de l’ISIE), c’est une sortie de Ben Jaafar lors d’un grand meeting à Sidi Bousaïd le 10 septembre dernier, où il a déclaré, non sans une certaine ambiguïté, que « le FDTL n’a pas d’ennemis politiques », ajoutant que le parti islamiste Ennahdha n’était qu’un « adversaire politique comme un autre ». Allusion sans doute à la dernière surenchère des chefs du PDP qui insistent, à l’approche des élections, sur le fait que deux camps s’y affrontent et autant de projets de société antagonistes : le camp moderniste (incarné par le PDP selon eux) et le camp réactionnaire / conservateur (incarné par Ennahdha).

Simple positionnement par rapport au rival historique PDP, ou nouveau virage plus consensuel rapprochant Ettakatol de la droite en vue d’une présidentielle déjà en ligne de mire ? Le mystère reste entier, d’autant que Ben Jaafar vient d’enfoncer le clou avec une longue allocution vidéo datant du 15 septembre, à l’issue de laquelle il réitère ce qui sonne comme une main tendue à « tous les gens de bonne volonté, quelle que soit leur coloration politique ».

Cette main tendue, les militants que nous avons rencontrés hier nous assurent qu’elle provient plutôt d’Ennahdha, dont le porte-parole Ajmi Lourimi avait évoqué une « alliance politique » avec un certain nombre de partis, dont Ettakatol sur Shams FM. Propos catégoriquement  démentis le lendemain sur la même antenne par Mohammed Bannour, porte-parole d’Ettakatol. Mais comme souvent pour le web, « il n’y a pas de fumée sans feu », et le cafouillage a suffi à lancer une vaste polémique au sujet des coalitions réelles ou fantasmées.

Et il faut bien reconnaître que si le FDTL continue dans sa fuite en avant anti PDP, à l’image de la violente joute verbale qui a opposé Iyed Dahmani à Mustapha Ben Jaafar au début du mois, la marge de manoeuvre en matière d’alliances semble bien maigre en dehors d’un rapprochement à droite, tant le nombre de sièges que leur donnent les sondages d’opinion est proche désormais du PDP (30 contre 40 sièges à la Constituante pour le PDP selon le dernier sondage Sigma).

Reste qu’une alliance Ettakatol – Ennahdha semble peu plausible, voire pas envisageable au regard de certains militants historiques de la laïcité et du féminisme en Tunisie que compte Ettakatol dans ses rangs, à l’image de Bochra Bel Haj Hmida. Une vague de départs considérable s’en suivrait certainement et qui serait plus que contre-productive pour le parti.

Seif Soudani

 

 

Seif Soudani