L’éducation à l’éthique musulmane

 L’éducation à  l’éthique musulmane

Crédit photo : Rémy Gabalda/AFP


En 2001 s’ouvrait à Grenoble le premier établissement scolaire musulman de France. Depuis, on en recense 86 de la maternelle au lycée* sur l’ensemble de l’Hexagone. Une progression fulgurante en quinze ans malgré le manque de moyens. 


Originaire de Pantin, en Seine-Saint-Denis, Nadia, une lycéenne de 16 ans a fait le choix de l’école musulmane pour pouvoir porter le voile. “J’ai longtemps hésité, car je ne voulais pas être exclue de mon lycée public. C’était d’ailleurs l’argument premier de mes parents pour m’empêcher d’aller plus loin dans ma foi. J’ai pu les convaincre en leur proposant de m’inscrire dans le lycée musulman La Réussite d’Aubervilliers. Ils ont accepté pour ne pas prendre le risque de me voir échouer dans mes études.”


 


A ne pas confondre avec coranique


La question des signes religieux à l’école est l’une des raisons de la hausse des inscriptions, comme l’a constaté Fatima Majdoub, conseillère pédagogique de l’école Amana, à Montpellier : “La loi a été un booster certes, mais il n’est pas le seul. Il y a aussi la volonté de transmettre les valeurs musulmanes au sens plus large, comme celles de la tolérance. Pour les parents, il est important qu’ils aient un droit de regard sur les enseignements, alors qu’ils se sentent lésés dans le cursus classique.”


Le fait que ces structures soient privées, moins encadrées par l’Etat, permet un véritable dialogue entre élèves, enseignant et parents, et les moyens sont mis en place pour fournir un enseignement différent : classes aux effectifs réduits (environ dix élèves), enseignants qualifiés, cours multilingues incluant l’arabe, projets pédagogiques annuels, méthodes alternatives de type Montessori. L’idée est de remettre à plat ce qui a pu échouer dans l’école de la République et de faire différemment pour “combattre le plafond de verre lié aux origines et ainsi former une sorte d’élite de la communauté”. A ce propos, les appellations de certaines écoles sont sans équivoque : école de l’Excellence (Héri­court), école du Droit Chemin (Chambéry), groupe scolaire La Lumière du Savoir (Corbeil-Essonnes). Et les résultats suivent : le lycée Averroès de Lille affiche un taux de réussite au bac de 97 % en 2016.


Mais école privée musulmane ne signifie pas école coranique ! De nombreux établissements préfèrent insister sur une éthique musulmane tolérante plutôt qu’une discipline islamique. Ainsi, le Meo High School de Paris a révisé sa vocation en s’autoqualifiant de “premier lycée de France à éthique universelle”. Pour Heyet Mankouri, la vice-présidente, il s’agissait de “clarifier la situation auprès de certains parents qui s’attendaient à avoir des cours de religion lorsqu’on affichait le terme ‘lycée musulman’”.


Alors que reste-t-il de l’Islam dans ces écoles ? “Il n’existe pas une école privée musulmane uniforme mais plusieurs systèmes éducatifs musulmans”, précise Fatima Majdoub. Selon les établissements, on retrouve de la ­tolérance multiconfessionnelle, la possibilité de prier pendant la récréation, de porter le voile et le qamis, ou encore de suivre une mixité régulée avec des horaires alternés filles-garçons. Mais même pour les plus rigoureux, les cours de religion dépassent rarement 5 % de l’enseignement. La raison en est simple : il faut avant tout suivre le programme de l’Education nationale.


 


Manque de moyens


La principale difficulté pour ces établissements se situe dans les blocages aux niveaux régional et national. Ils ont souvent du mal à obtenir des autorisations, comme le remarque Sabrina, membre de l’association de l’école primaire Al Amal à Antibes : “Les élus sont très réticents, le mot musulman fait peur. C’est pourquoi les projets sont encore timides face à une demande croissante. Un tel décalage s’explique aussi par le manque de moyens. Car si l’Etat ne nous suit pas, c’est fastidieux de récolter les financements par des dons.”


Et c’est sur le financement que le bât blesse. La subvention étatique est extrêmement rare pour les écoles musulmanes (à peine cinq) à la différence des 7 300 établissements catholiques et des 130 juifs sous contrat. Mais pour Fatima Majdoub, il y a de quoi se réjouir malgré tout : “Ce système éducatif est encore expérimental c’est vrai, ce qui est une très bonne chose puisque l’école privée musulmane de France ne peut que se bonifier !” 


* le site www.desdomesetdesminarets.fr a dressé en juillet 2017 une liste de tous ces établissements.


 


Combien ça coûte ?


Les frais de scolarité dépendent surtout du statut de l’école. Ainsi, sous contrat avec l’Etat, elle bénéficie de subventions, à partir de 50 euros par élève et par an (plus 40 euros selon certaines communes). L’établissement peut faire la demande de subventions cinq ans après son ouverture et en suivant un cahier des charges spécifique, qui fera l’objet d’inspections inopinées. Ces subventions participent à la rémunération des professeurs ainsi qu’aux frais de gestion des locaux. Dans ce cas, les frais de scolarité par élève représentent en moyenne 1 500 euros par année de scolarité. Mais la plus grande majorité des écoles privées musulmanes fonctionnent sous le régime associatif, par choix ou contrainte. Du coup, ce sont les dons d’entreprises ou de particuliers et les frais de scolarité qui financent la structure. L’investissement des parents pour leurs enfants montent alors à des sommes allant de 2 000 à 4 000 euros par an. Il arrive malgré tout que cela ne suffise pas, alors les écoles redoublent d’idées pour récolter des fonds, comme la mise en location de leurs locaux pour des mariages !


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MAGAZINE SEPTEMBRE 2017

Barka Benhemine