« C’est important de montrer la guerre pour que les gens la détestent », Jacques-Marie Bourget

 « C’est important de montrer la guerre pour que les gens la détestent », Jacques-Marie Bourget

Massacre de Sabra et Chatila à Beyrouth en 1982, témoigné par Jacques-Marie Bourget.

Jusqu’au 31 décembre le musée de la Libération à Paris dans le 14e met en avant le travail des femmes reporters de guerre à travers 80 clichés dans son exposition ‘Femmes photographes de guerre’. Pour l’occasion nous sommes allés à la rencontre de ces journalistes qui écument le monde pour couvrir les conflits dans des conditions rarement évidentes.

 

Jacques-Marie Bourget
Jacques-Marie Bourget a travaillé comme grand reporter, spécialiste du Moyen-Orient, pour les plus grands journaux français (L’Aurore, Paris Match, VSD…), après avoir débuté comme journaliste à l’ORTF. Il a couvert, entre autres événements, la guerre des Six Jours, les guerres du Viêt Nam, du Salvador, du Liban et d’Irak, les deux Intifadas palestiniennes …

« Je n’aime pas du tout l’expression “journaliste de guerre”. Il ne suffit pas de venir deux jours relater une info sur place pour en être un. J’ai assisté à presque toutes les guerres depuis 1967. C’est par haine de la guerre que l’on écrit. C’est important de montrer ce qu’est la guerre pour que les gens la détestent. Sur le terrain, toutes les personnes qui s’y retrouvent sont des militants de la paix. J’ai fait beaucoup de sports à risque. J’étais un peu casse-cou. J’avais envie de ne pas avoir peur. Quand vous arrivez dans un endroit où tout le monde essaye de s’échapper, cela veut dire que, dans votre tête, quelque chose ne tourne pas rond. Je ne suis pas militariste. J’ai même déserté. Le plus important est de surtout flairer le danger.

L’envie de hurler

En 1991, dans le quartier de la piscine, à Bagdad, j’ai vu la destruction de l’un des 17 abris anti-aériens Iran-Irak. Les Américains ont envoyé un avion furtif avec deux bombes qui avaient percé 2,5 mètres de béton. A l’intérieur, il y avait 458 femmes et enfants en petits morceaux. J’ai vu ça.

On se demande dans quel esprit a pu germer une idée pareille ? On a envie de hurler. J’ai fait des photos. J’ai réussi à les faire parvenir jusqu’à Amman par un taxi à qui j’ai donné 1 500 dollars. Il a eu le courage d’y aller et de revenir. C’est passé dans Paris Match et Life. C’est un coup de chance ! On m’a même appelé “Saddam Bourget”.

Le plus important était de témoigner. On ne peut pas ne pas être bouleversé. Ca suscite une émotion, qui se traduit par la retranscription la plus proche de la réalité. La guerre d’en bas m’intéresse plus que celle d’en haut. A Bagdad, je rencontrais des lettrés au cœur de la Mésopotamie. Il y avait des vieux en keffieh qui disaient : “C’est Buffalo Bill qui nous bombarde pour nous civiliser!”

Deux de mes fixeurs (au Liban et à Gaza) ont perdu la vie. Travailler avec des journalistes occidentaux qui ne sont pas toujours les bienvenus peut être dangereux. Ceux qui sont prêts à aller où ça chauffe ne sont pas nombreux. Ce n’est pas l’appât du gain qui les pousse à aller plus loin. C’est la recherche de la vérité, de la solidarité et le fait de pouvoir raconter l’histoire de leur pays.

Sans paraître prétentieux, nous sommes nous-même un morceau de l’Histoire. On n’essaie pas de faire un scoop. Quand on regarde une guerre en tant que Français, on porte dessus un regard un peu colonial. Les Anglo-Saxons sont plus sur les faits avec très peu de commentaires derrière. Les Français, sans que les faits soient absents, ont un sentiment profond d’attache aux conséquences d’un conflit.

Une balle dans le poumon

A Ramallah, j’ai pris une balle dans le poumon tirée par les forces israéliennes. J’ai découvert la peur et le syndrome post-traumatique. Reporter de guerre, c’est se mettre dans l’endroit le plus pourri et le plus difficile du monde, dans l’enfer et raconter ce qu’il y a autour.

Quand vous êtes à Bagdad, vous ne savez rien de ce qui se passe à Mossoul. Celui qui prétend faire une saga hebdomadaire, mensuelle ou quotidienne de l’évènement est un menteur. Internet a tué la presse. On ne peut plus être journaliste de guerre car le média qui vous emploie sait mieux que vous ce qu’il se passe. Dorénavant, on va sur le terrain pour dire ce que veut votre rédacteur en chef ou votre éditorialiste en plateau. Si vous arrivez avec un reportage qui contredit la doxa, personne n’en veut. »

Jacques-Marie Bourget

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Yassir Guelzim

Yassir GUELZIM

Journaliste Print et web au Courrier de l'Atlas depuis 2017. Réalisateur de documentaires pour France 5.