Tunisie. Indépendance de la TV nationale : une affaire d’Etat

 Tunisie. Indépendance de la TV nationale : une affaire d’Etat

« Le peuple veut des médias indépendants ! »


Entre volonté du nouveau pouvoir de faire main basse sur l’audiovisuel public et la levée de boucliers générale qui s’en suit, l’affaire dite de la TV nationale accapare décidément toute l’actualité de la semaine. Point d’orgue de l’accélération des évènements ces dernières 72 heures, le rassemblement des élus de l’ensemble de l’opposition aujourd’hui mercredi Avenue Habib Bourguiba pour soutenir une institution en péril.

 


 


C’est une tension accrue que nous avons pu mesurer sur place à la mi-journée aux abords du Théâtre municipal. C’est là que s’étaient donné rendez-vous société civile et députés de l’Assemblée constituante pour dénoncer d’une seule voix ce qu’ils considèrent être des velléités liberticides de reprise de contrôle de la TV nationale par un parti hégémonique au pouvoir, le RCD hier, Ennahdha aujourd’hui.


Le choix du lieu n’est pas fortuit. Déjà auréolé de prestige depuis les évènements de la révolution, lorsque des artistes avaient été brutalisés là par le régime Ben Ali, les escaliers du Théâtre municipal sont devenus un haut lieu du militantisme en faveur de la liberté d’expression, depuis que des salafistes s’en sont pris à des artistes qui y célébraient un festival du théâtre quelques semaines auparavant.


Une fois encore la jeune démocratie tunisienne faisait donc preuve d’une réactivité exemplaire, dès lors qu’il s’agit de sauvegarder des acquis chèrement payés. Et une fois de plus les dirigeants d’Ennahdha ont péché par orgueil : en campant sur des positions politiquement intenables, ils se mettent à dos une part toujours plus importante de l’opinion. 


L’opposition s’engouffre naturellement dans la brèche. C’est une constellation de ténors de la gauche et du centre-gauche qui était présente à midi, parmi eux Issam Chebbi, Maya Jribi et Iyed Dahmani du Parti Républicain, Chokri Belaïd du Watad, et Jounaïdi Abdeljaouad de la Voie Démocratique et Sociale.


 


Des slogans d’une rare violence


Particulièrement frappant aujourd’hui, le niveau de défiance atteint par la contestation anti gouvernement. Les quelques centaines de Tunisiens venus rejoindre les rangs des élus en colère n’ont pas hésité à s’en prendre plus particulièrement aux caciques d’Ennahdha.


Ainsi a-t-on scandé d’abord : « Le peuple veut des médias indépendants ! », « Médias publics, ni partisans ni gouvernementaux ! », « Médias libres pas de plébiscite ! », « Non à des médias obséquieux ! », « Ni peur, ni terreur, les médias appartiennent au peuple ».


Puis on s’en est pris plus particulièrement à des figures d’Ennahdha : « Ghannouchi, la TV n’est pas à vendre ! », ou encore « Nahdhaoui obscurantiste marchand ! », faisant référence aux menaces du parti de privatiser la chaîne Al Wataniya, et « Milicien, minable, ne t’avise pas de toucher à la TV nationale ! ».


« Fascisme » est un mot de plus en plus évoqué également, démontrant une certaine culture politique de la vigilance démocratique.


 


Le double discours, érigé en mode de gouvernance


Hasard du calendrier ou pas, au même moment avait lieu le démantèlement « consentant » du sit-in aux abords du siège de la TV nationale. Ses leaders ont expliqué dans une conférence de presse qu’ils se pliaient à la volonté du gouvernement de ne pas nuire à l’ordre public.


Il s’agissait là d’une semi surprise : la veille, Lotfi Zitoun leur avait rendu visite dans la nuit et avait annoncé avec exactitude l’heure du départ des sit-inneurs à l’issue de négociations éclair.


Il faut dire que ce conseiller politique très en vue de Jebali ne cache plus sa proximité avec les plus radicaux des militants islamistes. Ce qui jette un peu plus le trouble sur les liens étroits entre Ennahdha et ce qui s’apparente de plus en plus à un bras armé « salafo-militaire », une minorité agissante chargée des coups de forces, parfois en éclaireurs.


Reste que cette énième reculade, après celle de la charia, est la dernière d’une longue série d’annonces / contre-annonces qui donne à voir aujourd’hui ce qui apparait comme un mode de gouvernance (le parti islamiste nie à présent avoir comme position officielle la volonté de vendre la chaîne).


Amateurisme ou expertise stratégique, le parti de Rached Ghannouchi n’en sort pas grandi : à force de vouloir contenter sa base militante et soigner son image, cette politique est peut-être en passe de lui faire perdre sur ces deux fronts à la fois.


Seif Soudani


 


Reportage photo :


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Seif Soudani