Tunisie – Le bras de fer autour de l’interdiction de la publicité politique

La journée d’hier 12 septembre sonnait -théoriquement- la fin de la publicité politique qui envahissait le paysage urbain des Tunisiens depuis des mois.

Kamel Jandoubi, président de l’Instance Supérieure Indépendante des Elections en avait décidé ainsi, en prenant l’engagement dès le 1er septembre dernier lors d’une réunion avec les partis politiques que tout sera mis en œuvre pour faire respecter la mesure. Objectif : « garantir la transparence des élections et aplanir les difficultés pour les différents intervenants dans l’opération électorale ».

En clair, il s’agit de niveler les chances des forces en présence de sorte que les plus grandes formations n’accaparent pas tout l’espace lors de la campagne qui débute officiellement aujourd’hui.

Déjà, l’on s’interrogeait au sein des directions des partis sur les différentes stratégies à adopter suite à cette nouvelle donne : doit-on concentrer l’effort promotionnel sur le web, les réseaux sociaux, etc.

Mais voici que le PDP se rebelle en annonçant ouvertement son intention de ne pas respecter l’interdiction publicitaire. C’est Maya Jribi, secrétaire générale du parti, qui dès le 7 septembre lors d’une conférence de presse brisa la première le tabou : elle a qualifié la mesure de l’ISIE d’ « excessive,  improductive et non justifiée ». Le principal argument avancé était que sur le plan international, « les partis recourent à la publicité pour faire valoir leurs programmes auprès du public jusqu’au dernier moment ».

Ahmed Nejib Chebbi, chef du PDP, lui emboîtait le pas hier en convoquant une deuxième conférence de presse dédiée à la question, au jour J de l’interdiction. Se montrant encore plus déterminé, il a même prôné la désobéissance face à une décision de Kamel Jandoubi qui ne se baserait selon lui sur aucune loi. D’autres voix dans d’autres partis, déjà très investis dans l’affichage urbain à l’image d’Afek, ont dans la foulé déjà profité de l’occasion pour s’engouffrer dans la brèche et remettre en question le fondement d’une mesure qui ne pouvait que leur déplaire.

En réalité, les partis en question ne font qu’enfoncer une porte ouverte : ils savent pertinemment que malgré la fermeté affichée et la volonté politique, ISIE et gouvernement provisoire n’auront vraisemblablement pas les moyens logistiques de faire respecter la loi en la matière. Le premier devra en effet faire appel au deuxième comme avait prévenu Jendoubi. Or, le gouvernement, aux abois pendant le mois de pouvoir qu’il lui reste à exercer, encore plus affaibli, mis en difficulté par la contestation sociale au sein-même des forces de l’ordre, peine déjà à expédier les affaires courantes, en espérant maintenir un seuil de stabilité minimal nécessaire à l’organisation des élections de la Constituante.

Que risquent concrètement les partis rebelles ?

Les caciques du PDP ne font pas preuve de la plus grande probité intellectuelle en jouant subtilement sur les mots dans leur dernière sortie politicienne. En effet, leur double argumentaire ne tient pas : le prétexte des standards internationaux ne tient d’abord que pour la précampagne. Avec l’entame de la campagne officielle, ce sont les autorités locales qui comme l’ISIE en l’occurrence se chargent d’une distribution équitable des espaces publicitaires.

Par ailleurs l’article 70 du décret-loi relatif à l’élection de la Constituante avait bien régi dans les textes tout le processus électoral, en ne laissant rien au hasard.

Contacté par nos soins, Sami Ben Slama, responsable des affaires juridiques et des relations publiques de l’ISIE, nous a rappelé les modalités suivantes relatives au décret-loi amendant la loi électorale, tout en réitérant la ferme intention de l’Instance de les faire appliquer :

–          L’amende que risquent les contrevenants est de 1.000 à 5.000 dinars, selon l’abus constaté.

–          Les médias que ne se sont pas soumis à l’annulation en continuant d’offrir un support pub seront contraints à publier le texte de la pénalité en lieu et place des encarts publicitaires politiques.

–          En cas de récidive, l’ISIE se réserve le droit d’interdire au média concerné la couverture de toute campagne électorale.

–          l’ISIE peut enfin annuler les résultats des partis élus qui n’ont pas respecté lesdites dispositions.

La même source nous précise en revanche que la loi est moins stricte qu’il n’y parait, puisque l’affichage sera toujours permis dans les espaces fermés, non publics, y compris derrière des vitrines par exemple.

Reste que les 5 plus gros budgets de campagne (respectivement Ennahdha, PDP, FDTL, UPL et Afek) entendent récolter en termes d’adhésions et de voix des retours sur investissement, à l’image du PDP qui fin août a changé de boite de com’ suite aux critiques de sa première compagne pub jugée trop envahissante et contre-productive par beaucoup, au profit du très en vogue JWT, prisé par les plus grandes entreprises (l’opérateur téléphonique Tunisiana en tête), avec un contrat juteux pour les pros de la pub à la clé.

Une guerre ouverte est donc déclarée entre partis et autorités. Elle vient compliquer une campagne qui promet déjà d’être agitée. En attendant, ce matin du 13 septembre, les énormes panneaux publicitaires des partis précités étaient toujours visibles ce matin à Tunis. Quant aux chaînes de TV privées, elles diffusaient encore des spots de l’UPL notamment, comme si de rien n’était. En somme, Business as usual…

Seif Soudani

Seif Soudani