Tunisie. Moncef Marzouki élu président de la République : une intronisation semi démocratique

 Tunisie. Moncef Marzouki élu président de la République : une intronisation semi démocratique

Moncef Marzouki

Sans surprise aucune, Moncef Marzouki a été élu hier lundi président de la République par les membres de l’Assemblée constituante, avec 153 voix sur les 202 voix exprimées, 44 votes blancs, 2 abstentions et 3 voix contre. Et pour cause, il était l’unique candidat à ce poste. Le chef du CPR devra renoncer à son siège d’élu, avant de prêter serment et s’adresser aujourd’hui mardi au peuple tunisien dans son premier discours en tant que président par intérim.

Si la séance de l’Assemblée constituante consacrée à l’élection du président de la République avait tout d’un cérémonial bien réglé, à l’issue connue d’avance, sa clôture marquant l’intronisation de Marzouki avait tout d’une « demi joie ».

Un accomplissement démocratique en demi-teinte

Un certain malaise était perceptible tout au long du processus. Il trouve son explication dans un contexte assez exceptionnel.

D’abord, pour beaucoup de Tunisiens, une énième élection présidentielle au résultat connu d’avance n’est pas réellement digne de l’après révolution, même s’il s’agit en l’occurrence d’une élection au suffrage indirect.

De surcroît, Marzouki est élu pour une durée indéterminée (en vertu du vote contre la limitation dans le temps du mandat de la Constituante), ce qui ne manque pas de raviver quelques inquiétudes, elles-mêmes liées à des souvenirs encore vivaces de deux présidences à vie.

Par son boycott du vote, l’opposition, en décidant de retirer tous ses candidats, a contribué ensuite à gâcher la fête. Elle entendait ainsi exprimer une seconde fois sa désapprobation de la loi régissant l’organisation provisoire des pouvoirs dont cette élection fait partie intégrante.

Par le biais d’Ahmed Brahim (PDM) qui a lu un communiqué rendu public à la TV quelques instants avant le début du vote, elle a annoncé ne pas vouloir cautionner par sa participation le délestage de l’institution de la présidence de la République de la plupart de ses prérogatives (au profit du futur Premier ministre), ce qui en fait désormais « une fonction symbolique ».

Malgré cela, ils étaient 10 membres de l’Assemblée, inconnus du grand public, à présenter leur candidature. Sur les 10 dossiers de candidature, seul celui de Moncef Marzouki fut jugé recevable : 8 candidats étaient disqualifiés n’ayant pas obtenu les 15 signatures nécessaires de membres de l’Assemblée, et un candidat disqualifié n’ayant pas l’âge minimum requis. Voilà qui rendait le suspens d’autant plus inexistant.

Du coup, cela donnait à l’élection une allure de référendum, les élus étant appelés à voter oui, non, ou blanc sur la seule personne de Marzouki.

L’Histoire retiendra que celui-ci fut élu à 75% des voix des représentants du peuple. Un score hégémonique que Marzouki tenta de reprendre à son avantage dans son allocution suivant le vote : « Je jouis de la confiance de plus des deux tiers des votants » s’est-il félicité visiblement ému, avant de tenter de minimiser le geste de l’opposition en l’imputant au jeu démocratique.

Une institution toujours anti universaliste

Par son geste encore plus radical de refus de voter, Ibrahim Kassas, élu d’Al Aridha, a rappelé via sa pancarte brandie à l’Assemblée un autre malaise entourant ces mini élections : le fait que la « petite Constitution » votée samedi interdise aux Tunisiens binationaux de présenter leur candidature à la présidence de la République.

Plus controversé encore, l’article relatif aux conditions requises pour tout candidat à la fonction suprême stipule qu’il doit présenter une déclaration sur l’honneur qu’il est musulman. Ce qui exclut notamment les nombreux juifs tunisiens, les irréligieux et autres incroyants, si cet article venait à être transposé tel quel dans la Constitution qui reste à rédiger.

En attendant, le Docteur en médecine Moncef Marzouki, longtemps militant des Droits de l’homme et de la démocratie, n’a pas bronché face à une telle loi ouvertement identitaire et anti laïque, lui dont la gauche qu’il incarne est labélisée comme nationaliste à juste titre.

Seif Soudani

Seif Soudani