Tunisie- Ramadan: La résignation des patrons de cafés et fast foods devant la menace salafiste

Dès mercredi 27 juillet, une info faisait le buzz sur le web tunisien et le lendemain dans les colonnes de la presse quotidienne: Faouzi Hanfi, président de la Chambre nationale syndicale des cafés de catégorie A, faisait part des appréhensions des cafetiers face aux risques qu’ils courraient s’ils ouvraient de jour pendant le mois du ramadan cette année.

Selon toute vraisemblance, les professionnels du secteur craignent une vague de violence de la part des salafistes les ayant déjà menacés d’une part, et ayant déjà profité du relâchement sécuritaire d’autre part pour sévir au cours des derniers mois notamment pour forcer la fermeture des maisons closes dans tout le pays, provoquer des incidents devant le ministère de la Femme, au CinémAfricArt, devant le Palais de Justice de Tunis, etc.

Déjà sous Ben Ali, ces dernières années, l’ouverture de jour était en net recul avec des cafés et des restaurants de moins en moins nombreux à ouvrir leurs portes pour accueillir non pratiquants, touristes et personnes médicalement incapables de jeûner.

Dans son film « Laïcité Inch’Allah ! », encore au cœur d’une polémique nationale s’agissant de sa sortie en salle en septembre, Nadia El Fani dénonce ce qu’elle qualifie d’intégrisme d’Etat, sorte d’intégrisme à grande échelle imposant de façon tacite la pratique du jeûne et les contraintes qui en découlent sur l’ensemble d’une société paralysée au nom du respect des pratiquants.

Afin de distinguer l’info de l’intox, nous avons mené une enquête exclusive et méthodique qui porte sur un large échantillon représentatif des cafés aux quatre coins de la capitale.

 

Un flou législatif et des décisions unilatérales

Premier enseignement, en interrogeant les patrons des cafés de l’Avenue Habib Bourguiba au cœur de Tunis, nous apprenons que les choses sont plus subtiles qu’il n’y paraît. En effet, deux grandes catégories distinctes de cafés sont soumises à autant de législations différentes : les cafés dépendant du ministère du Commerce (catégorie A), et ceux dépendant du ministère du Tourisme, comme celui de l’Africa, au rez-de-chaussée de l’hôtel du même nom.

Première surprise, celui-ci nous apprend qu’il sera bien ouvert de jour, étant parmi les cafés touristiques jouissant d’une législation à part conférant davantage de liberté aux gérants, mais qu’exceptionnellement cette année, l’établissement ne servira pas d’alcool ni aux touristes, ni aux locaux durant le ramadan « pour éviter les ennuis, surtout cette année où tout le monde a peur » nous confie un responsable d’un ton gêné. « Même nos confrères du Palace, d’ordinaire ouverts durant le ramadan, viennent de décider de ne pas ouvrir cette année ».

Même chose au célèbre Café de Paris un peu plus loin, bar – café dont nous apprenons qu’il bénéficie lui aussi du statut d’établissement touristique. Là, le gérant nous apprend qu’il n’a pas encore pris de décision définitive concernant l’ouverture ou non durant le Ramadan, alors que l’an dernier il ouvrait ses portes comme tous les ans, y compris de jour.

Il nous explique que, par ailleurs, les cafés commerciaux de catégorie A nécessiteraient une autorisation spéciale contractée auprès des préfectures locales s’ils désirent ouvrir de jour durant le ramadan, et que cette année, celles-ci rechigneraient à les fournir pour des raisons sécuritaires. Pourtant, selon nos informations, il n’existe aucune loi interdisant formellement l’ouverture diurne durant le mois saint. Sur place, on parle d’un décret municipal sans que personne ne soit en mesure d’en prouver l’existence.

Plus loin encore, le très prisé Café du Théâtre au pied du Palmarium nous annonce quant à lui qu’il a opté pour un compromis dont on verra plus loin qu’il n’est pas le seul à avoir choisi. « Nous serons fermés durant les 10 premiers jours (jour et nuit) du ramadan histoire de sonder le climat sécuritaire dans la zone qui est particulièrement fébrile. D’autant que l’an dernier, l’affluence durant les premiers jours du ramadan était faible » prétexte-t-il.

Autre ensemble de cafés, ceux qui n’ont jamais ouvert leurs portes de jour durant le ramadan et les ouvriront encore moins cette année en cette période post révolutionnaire, à l’image du Seventh Sky de Tunis sur la même avenue, ou encore de Brooklyn Café dans le quartier huppé du Manar. Idem pour le Queen à Ennasr, le Victoria Queen à la Soukra, et le Costes de Sidi Bou Saïd tous fermés de jour et de nuit selon leurs gérants respectifs.

Dans l’ensemble, ces établissements évoquent des initiatives unilatérales qui ne dépendent pas d’une discipline collective au sein du syndicat des patrons de cafés, une chambre dépendant elle-même de l’UTICA, union du patronat tunisien.

Idem pour la célèbre chaîne de restaurants Baguette & Baguette pour laquelle certains points de vente évoquent 10 jours de fermeture officiellement « pour travaux » et d’autres une fermeture pure et simple le jour, alors que l’an dernier tous étaient ouverts la même période.

Au final, nous avons globalement constaté une certaine propension de la part des professionnels du secteur à vouloir témoigner, parfois en off, de leurs vives inquiétudes vis-à-vis de l’état de relative instabilité du pays qui affecte tout particulièrement leur champ d’activité, même si la plupart d’entre eux montrent une certaine résignation conjuguée à une part de bonne volonté, conscients du caractère transitoire de cette période pré-électorale nécessitant d’être patient et responsable.

C’est moins la peur qui motive les décisions de fermeture parfois que la volonté de « ne pas provoquer » prétendent certains. Or, si les fermetures en chaîne se confirment, « les salafistes auront gagné » nous a confié le patron de l’Etoile du Nord, un des rares cafés du centre-ville de la capitale à avoir toujours été ouvert de jour comme de nuit durant le ramadan, et qui nous a confirmé qu’il en sera toujours ainsi.

S.S.

Seif Soudani