Palestine ou le « droit » à la partialité

 Palestine ou le « droit » à la partialité

ANDY BUCHANAN / AFP

Dans le contexte du conflit palestino-israélien, l’Occident se discrédite une fois de plus en tant que défenseur des droits de l’homme en accordant à Israël un blanc-seing pour violer tout droit international sous couvert d’autodéfense légitime.

Par Iman Hajji, Islamologue et docteure en linguistique et civilisation arabe (Lyon)

 

Il est difficile aujourd’hui de consommer les médias occidentaux sur le conflit palestino-israélien sans être envahi par un sentiment d’impuissance. Depuis le 7 octobre dernier, la partialité de la couverture médiatique a atteint une nouvelle dimension qu’il sera désormais difficile d’égaler.

Ce qui est particulièrement inquiétant, c’est l’interprétation de toute tentative de contextualiser et d’analyser la dernière attaque du Hamas contre Israël comme étant une tentative de justification. Outre le fait qu’on tente ainsi d’étouffer la réflexion dans l’œuf, ce réflexe ne répond pas à la complexité du conflit et soutient une vraie propagande médiatique.

D’ailleurs, dès le lendemain de l’attaque du 7 octobre, Israël a eu recours à des publicités sur YouTube pour déclarer que le Hamas avait déclenché une guerre contre Israël, ajoutant que Tel-Aviv prendrait toutes les mesures nécessaires pour protéger ses citoyens contre les « terroristes barbares ».

Les utilisateurs des médias sociaux n’ont pas tardé à partager cette information sur X, anciennement connu sous le nom de Twitter, certains qualifiant la publicité de « propagande », tandis que d’autres s’étonnaient de la « rapidité » avec laquelle YouTube avait approuvé la diffusion du message sur la plateforme. Il est vrai qu’au 21e siècle, toute guerre est d’abord une guerre médiatique.

 

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Soyons clair : les atrocités commises par Hamas contre des civils israéliens sont condamnables. Le Hamas est une organisation terroriste qui porte un programme politique et sociétal que nous rejetons et auquel nous nous opposons. Rappelons tout de même qu’il ne s’agit point d’une agression unilatérale.

Car même si les chaînes d’informations n’en faisaient pas les Unes, ces derniers mois et années étaient marqués par les démolitions de maisons palestiniennes en Cisjordanie, l’expulsion des familles palestiniennes de Jérusalem, la retenue de milliers de prisonniers sans procès et sans défense – y compris des adolescents-, la poursuite de la colonisation et de la confiscation des terres, la violences des colons et le discours pervers d’un gouvernement d’extrême droite prônant ouvertement l’annexion et le «transfert » de populations.

Ou pour les dire dans les termes du journaliste israélien Gideon Levy qui a confié au journal Haaretz : « nous arrêtons, tuons, maltraitons, volons, protégeons les colons qui commettent des massacres, visitons le tombeau de Joseph, le tombeau d’Othniel et l’autel de Josué, tous situés dans les territoires palestiniens, et bien sûr nous visitons le « Mont du Temple » [la mosquée Al-Aqsa], où plus de 5 000 Juifs se sont rendus à l’occasion de la fête de Souccoth. Nous tirons sur des innocents, leur arrachons les yeux et leur fracassons le visage, les déportons, confisquons leurs terres, les volons, les enlevons dans leur lit et procédons à un nettoyage ethnique. Nous poursuivons également le siège déraisonnable ».

 

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En effet, le blocus de Gaza perdure depuis seize ans faisant de Gaza une prison à ciel ouvert. 2,2 millions de personnes vivent aujourd’hui dans les quelque 360 kilomètres carrés qui constituent Gaza, en faisant une des zones les plus densément peuplées au monde. Mais le pire reste à venir.

Avec le soutien de l’Europe et des États-Unis, Israël a attaqué les télécommunications, les écoles, les hôpitaux, les centres commerciaux, les universités, les immeubles résidentiels, les banques, les centres logistiques et les entrepôts commerciaux de la bande de Gaza, détruisant ainsi une infrastructure déjà fragilisée.

Sous couvert d’autodéfense légitime, l’État d’Israël procède à un ciblage généralisé, délibéré et disproportionné de civils violant, une fois de plus, tout droit international. Sans accès à l’eau, aux communications, à la nourriture, aux services de santé et aux besoins les plus élémentaires, la population de Gaza est maintenant appelée à « ne pas tarder » à évacuer leurs habitations et d’aller vers le sud du territoire palestinien avant le lancement d’une offensive militaire, alors que les routes sont déjà encombrées dans le nord.

Or, tous les points de passage de la bande de Gaza sont fermés ou détruits, y compris le point de passage de Rafah avec l’Égypte, qui a été attaqué par Israël hier. Il n’y a pas d’échappatoire.

 

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La crise humanitaire qui est en train de se dérouler sous nos yeux aura sans doute une ampleur apocalyptique, comme le prédisent plusieurs organisations humanitaires. Certains habitants ont choisi de rester chez eux, craignant et résistant à une seconde Nakba, à un exil forcé qui videra la terre de ses habitants l’ouvrant à la colonisation.

Les représentants de la démocratie et du monde dit « libre » ont donné carte blanche au gouvernement israélien de se défouler de manière particulièrement atroce sur les civils palestiniens sous couvert d’autodéfense légitime. Une légitime défense qui n’est, en revanche, pas accordée aux Palestiniens.

Pire encore, dans plusieurs pays, comme en France et en Allemagne, les manifestations en soutien de la cause palestinienne ont été interdites. Ces rassemblements ne visent pas à échauffer les esprits, mais à exprimer la solidarité envers un peuple qui est privé de sa liberté et de son auto-détermination depuis des décennies.

Dans la « patrie des droits de l’homme », il a été décidé que ces droits étaient des droits à géométrie variable et ne prévalaient pas quand il s’agit des Palestiniens, traités par le ministre israélien de la Défense, Yoav Galant, comme « animaux humains ».

 

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Interdire les manifestations revient à une criminalisation du soutien à la cause palestinienne. Or, comme l’a très bien dit Nelson Mandela, les Palestiniens luttent pour la liberté, la libération et l’égalité. Des valeurs et des droits qui sont censés être universels et défendus dans un monde qui se veut « libre » et « juste ». Le droit ne distingue pas quand il n’y a pas lieu de distinguer. Le « droit » à la partialité est intenable quand il s’agit surtout de l’existence et de la survie des peuples.

La rédaction