Dr Alpha K. Keita : « Ebola est plus virulent que le COVID19 »

 Dr Alpha K. Keita : « Ebola est plus virulent que le COVID19 »


Médecin biologiste, chercheur et directeur adjoint du Centre de Recherche et Formation en Infectiologie de Guinée, le docteur lauréat du Next Einstein Forum a beaucoup travaillé sur le virus Ebola en Afrique. Avec lui, nous revenons sur la virologie du COVID19, sur sa propagation dans le monde et sur la chloroquine et son usage


De nombreux pays tropicaux (Asie du Sud-Est, Amérique Centrale, Afrique centrale) sont moins touchés par le virus Covid 19. Est ce que le virus se transmet moins dans ces climats chauds et humides ?


Jusqu’à preuve du contraire, nous sommes dans le domaine du normal pour ces pays. Pour moi, il ne se transmet pas moins dans les zones humides et chaudes. Je pourrais émettre des hypothèses. Tout d’abord, le processus de diagnostic peut poser problème. Dans la majorité de ces endroits, un processus de dépistage massif au sein des populations n'a pas été mené. Il y a aussi un fait à prendre en compte, à savoir les expositions passées des uns et des autres. Les populations africaines ont déjà été par le passé en contact avec d’autres espèces de coronavirus. Une des hypothèses à ne pas négliger est le fait que les populations qui ont déjà eu affaire à des coronavirus, ont un système immunitaire plus fort pour leur permettre de résister à une infection. Toutefois, on reste dans le domaine du spéculatif. Je ne suis pas convaincu que le fait d’être dans une zone chaude soit un frein à la propagation du virus. Il va falloir l’expliquer sur le plan de l’immunologie ou de la génétique. Cela passe aussi par des techniques de sérologie pour savoir qui a été exposé ou pas.


Le virus Ebola est il de la même famille que le Covid 19 ?


Ebola est plus virulent que le SARS-COV2 qui est le virus responsable de la maladie. Le COVID19 appartient à la famille des Coronaviridae  (en lien avec sa forme de couronne) alors qu’Ebola appartient à la famille des Filoviridae (en lien avec sa forme filamenteuse). Ils n’ont pas le même code de transmission.


Le paludisme est il aussi un virus ?


Non. Le paludisme est causé par un parasite. Ce sont des espèces spasmodiales qui sont au nombre de 5 et pathogènes pour l’homme. Le parasitisme du virus Covid19 est différent de celui du paludisme. Le Covid19 ne peut vivre qu’aux dépens de la cellule de son hôte. Le virus a très peu d’éléments qui lui appartiennent et vit essentiellement sur la machinerie cellulaire de son hôte. Le paludisme est capable de vivre avec ou sans son hôte.


La chloroquine qui a le vent en poupe contre le COVID19, est connue en Afrique…


Evidemment, c’est un médicament que l’on connaît très bien car il a été utilisé contre le paludisme. Il est aussi utilisé pour traiter d’autres types de maladie, notamment des infections par certaines bactéries intracellulaires ou des maladies auto-immune. Les praticiens ont l’habitude de manipuler ce médicament depuis des décennies.


Est-ce que les populations, « habituées » à prendre de la chloroquine sont plus immunisées contre le COVID19 ?


On ne va pas faire de charlatanisme. Jusqu’à ce qu’on prouve par des données scientifiques valides, il faut faire attention à des affirmations pareilles. Les gens ont pris de la chloroquine pendant longtemps mais il ne faut pas oublier que la prise massive de ce médicament a diminué depuis une vingtaine d’années. Les médicaments, à partir de produits de synthèse ont une demi-vie plasmatique (temps nécessaire pour que la concentration sanguine dans l’organisme diminue de moitié. La quasi-totalité d’un médicament est éliminée après 5 demi-vies, ndlr). Si on n’a pas pris un médicament pendant un mois ou deux, voire 10-15 ans, je ne pense pas que ce médicament puisse avoir un effet protecteur sur l’organisme dix ans après.


Est ce que la prise d’un médicament reste dans le patrimoine génétique du patient qui le prend ?


Ca relève de la science-fiction (rires). Autant notre organisme peut développer des mécanismes de résistance au médicament, autant croire que la configuration chimique d’une molécule d’un médicament « entre » en mémoire dans le patrimoine génétique, ca ne me paraît pas réaliste. Ca serait idéal que notre corps puisse garder en mémoire dans nos gênes ces substances, et les « sortir » quand un pathogène nous affronte. Ce serait le « Super système immunitaire » mais ca reste quand même de la science-fiction !


Peut on imaginer que des produits naturels utilisés par ces pays tropicaux puissent faire office de frein à la pandémie ?


La chloroquine est issue de molécules de synthèse qui ont été créés à partir d’un végétal (le quinquina, ndlr). Nous connaissons bien la plante en Guinée. Je sais que dans le sud du pays, il y a plusieurs hectares de plantations de quinquina et qu’il en existe des dérivés (vins de quinquina, etc..). Un ami, professeur de pharmacologie est convaincu que si la chloroquine, médicament de synthèse est efficace sur le COVID19, alors la quinine peut être efficace sur ce même virus car la structure chimique de la chloroquine se retrouve en grande partie dans la structure chimique de la quinine.


Des propos intolérables se sont tenus sur la vaccination en Afrique. Qu’en pensez-vous ?


Par principe, parler de vaccination contre une maladie n’est pas idiot. D’un point de vue logique, s’il faut penser à un endroit du monde pour aller tester en vaccins, je suis partisan qu’il soit testé dans les endroits où ils ont été mis au point. Pour Ebola par exemple entre 2013 et 2016, c’est une maladie qui est circonscrite à une zone géographique. L’Afrique est le terrain de ce virus. Si on met en place un vaccin contre le virus Ebola, ca serait aberrant de penser qu’il faudrait aller en Australie pour tester le vaccin. Il faut tester le virus là où il y a des gens malades et des gens sains. S’il marche, on pourra l’extrapoler dans d’autres endroits du monde et notamment en Afrique, pour une fois !

Yassir Guelzim

Yassir GUELZIM

Journaliste Print et web au Courrier de l'Atlas depuis 2017. Réalisateur de documentaires pour France 5.