Point de vue. La sous-politique de Macron

 Point de vue. La sous-politique de Macron

Le président français Emmanuel Macron lors d’une conférence de presse pour présenter le cap du nouveau gouvernement français au palais de l’Élysée à Paris, le 16 janvier 2024. Photo de Ludovic MARIN / AFP

En France, le président Macron croit toujours avoir raison contre tous, peuple, majorité et élites. Ce faisant, il a sur-présidentialisé un régime pourtant à la base équilibré.

 

On peut dire que Macron est le président le moins politique de la Ve République. Alain Minc, conseiller politique et essayiste, a eu à évoquer, non sans pertinence, dans un entretien paru au magazine Le Point du 12 décembre 2023, le profil du Président Macron et sa manière de diriger la France. Il disait : « J’ai eu l’occasion d’expliquer qu’il y a deux mots en anglais pour « politique » : policy et politics. En policy (conception, programme politique), je lui mets 17 sur 20 et en politics (gestion des conflits), 3 sur 20, mes notes n’ont pas changé. Emmanuel Macron ignore ce qu’est la politique. Il n’a pas été formé en labourant un terrain électoral et est arrivé à l’Elysée sans cette expérience, qu’il n’a pas cherché ensuite à acquérir. Le résultat, c’est un mode de gouvernance où il ne s’entoure pas de personnalités fortes et, lorsqu’une personnalité forte s’affirme, il s’en méfie ». Alain Minc aurait pu ajouter une autre mauvaise note pour le troisième terme de « politique » en anglais, polity, signifiant « le politique » au sens large, comme l’ensemble des règles et principes et institutions régissant le vivre-ensemble.

Donc, non seulement Macron n’a pu acquérir durant sa carrière de technocrate ou de financier « le » politique, au vu de son éloignement des partis et des combats politiques, ce réflexe ou cette intuition qui s’acquiert notamment par l’expérience politique, militante et parlementaire. Sa seule expérience politique a été acquise en tant que ministre de l’Économie et de l’Industrie et du Numérique de 2014 à 2016 au gouvernement de Manuel Valls sous la présidence de François Hollande. En vérité, seul De Gaulle n’avait pas d’expérience politique, mais cela ne l’a jamais empêché de rehausser le jeu politique et de se confronter à de fortes personnalités politiques, comme Churchill, Roosevelt et de tenir tête aux grands du monde de l’époque. Mieux que tout cela, De Gaulle avait au plus haut point le sens du politique et même de l’histoire. Mais cela reste une exception.

Macron refuse encore, aux dires d’Alain Minc, de s’entourer de personnalités politiques de caractère, comme l’ont fait pourtant la plupart des présidents français de la Ve République, de De Gaulle, Pompidou, Giscard, Mitterrand, Chirac à Sarkozy et Hollande. Généralement, ces présidents faisaient confiance à deux types de collaborateurs politiques importants : un groupe pour administrer l’Etat et assurer l’intendance, un autre pour faire de la politique, définir les priorités et réfléchir sur les réformes à envisager. Macron se suffit à lui-même, ne fait confiance qu’à lui-même, ne croit qu’à ses propres capacités. C’est lui qui décide du politique, du gouvernemental, de l’étatique et du profil des ministres de son gouvernement. C’est lui qui décide quand, où et comment faire des réformes, qui dicte directement les consignes aux parlementaires de son Mouvement. La mécanique rationnelle a du mal à se plier pas face aux contraintes politiques. Elle continue sa route jusqu’à ce que la logique de sa politique finisse, de gré ou de force, par avoir le dernier mot, fut-ce en retournant contre lui toutes les catégories sociales et tous les partis politiques, tout en fâchant ses alliés dont les avis ne sont pas pris en compte et en mettant le pays et la rue en effervescence. Même le mouvement qu’il a créé pour accéder à la présidence En Marche, il l’a voulu non politique, peu militant et peu idéologique, mais de type transversal ou horizontal, composé de plusieurs groupes issus de la société civile et de profanes politiques. Aujourd’hui, Macron n’a que 46 ans, il fait un deuxième mandat présidentiel et il croit encore qu’il a tout appris en politique, comme il l’a montré encore dans sa longue et soporifique conférence de presse d’il y a quelques jours. Il veut tout expliquer, tout dire, s’immiscer dans les sphères propres du gouvernement et des ministres. La politique est oracle et rhétorique. Il suffit de parler, de discourir pour rassurer, convaincre une société fracturée et trouver une issue aux obstacles les plus infranchissables. Macron n’a plus de majorité dans ce second mandat. Il gouverne par la minorité. Il croit que les Français finiront par s’accrocher à lui, ou aux prochaines élections, à son dauphin, face au péril de l’extrême droite, en tête aujourd’hui dans les sondages et alors que la droite et la gauche classique restent éclatées dans le paysage politique.

Technocrate, brillant, cartésien, Macron croit que la politique est dans le même registre que les mathématiques et que tout problème peut être solutionné définitivement par la seule logique. Et pourtant, en politique, on n’a jamais tout solutionné et on n’y parviendra jamais. L’émetteur politique est appelé à s’adapter au récepteur et aux circonstances, parce qu’il a une obligation d’agréger, de rassembler, de coordonner, de rendre les populations moins hétérogènes, d’incarner l’unité de l’Etat. Il n’a pas ce que les Grecs appelaient phronésis, ce discernement, prudence et sagesse politique, considérée par Aristote comme la vertu cardinale d’un dirigeant. Les solutions politiques apparaissent rarement d’un coup, mais au fur et à mesure que les groupes opposés avancent dans la discussion pour trouver des compromis, toujours provisoires, pouvant toujours être remis en question. Dans l’action, la politique n’est ni la majorité, ni l’opposition, ni la décision d’un seul. Elle est comme une poire qu’il faudrait habilement tenter de couper en deux, fut-ce en grignotant quelques morceaux abandonnées ou arrachées à l’adversaire dans la négociation. La brutalité n’a pas de prise en démocratie. Le 49.3 aidait dans les gouvernements majoritaires antérieurs (d’avant Macron), fortement soutenus au parlement, à accélérer les réformes face à l’opposition et à rationaliser le travail parlementaire. Aujourd’hui, cette disposition constitutionnelle ne permet plus autre chose à Macron que de gouverner contre le peuple. Elle désagrège plus qu’elle n’agrège. Macron a aujourd’hui contre lui et les élus du peuple, et la rue et les sondages, comme le montrent les débats publics.

Le pouvoir obstiné d’un seul, fut-ce par un homme perspicace, a un prix. Macron a créé le vide autour de lui, en dépit des apparences. Un politique habile tente d’élargir le volume de sa majorité, lui, il l’a rétréci entre le premier et le second mandat. La phobie décisionniste l’a conduit à la présidentialisation d’un Etat censé être semi-présidentiel, tout en dévalorisant la fonction présidentielle elle-même. Il n’est pas en charge de l’essentiel, mais de l’accessoire. Parler trop a aussi un prix. Il rentre trop dans les détails et les modalités pratiques de l’action. Il a souvent changé d’avis, fait des revirements, fait des discours contraires, même sur des questions de principe (vis-à-vis de Poutine, dans la guerre Hamas-Israël par exemple). Le premier Juge du pays s’est souvent déjugé en dépit de son caractère logique.

Que l’on soit acteur ou philosophe, en politique, on n’a pas toujours raison. C’est le grand tort des illuminés. Et c’est toute la différence entre la politique et la sous-politique.

 

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Hatem M'rad