Point de vue. Le pouvoir charismatique à l’école

 Point de vue. Le pouvoir charismatique à l’école

Le pouvoir charismatique n’est pas seulement un type, une théorie qu’on étudie dans les sciences sociales, ni même un don du ciel, c’est aussi une technique dont on peut en faire l’apprentissage, comme le voit le chercheur John Antonakis.

 

Jusque-là, et fondamentalement, on ne savait du pouvoir charismatique que de ce qui provenait des écrits du sociologue Max Weber, notamment quand il distinguait dans son œuvre Economie et société, les différents types de domination légitime, et où aux côtés de la domination traditionnelle et de la domination légale-rationnelle, il plaçait la domination charismatique, qui avait, elle, sa préférence, parce que, seule, elle permettait dans son esprit de sortir la politique du « désenchantement » et de la rationalité bureaucratique dans laquelle elle se retrouve souvent. Autant les deux autres types de domination sont trop « habituels », trop ordinaires et routiniers, autant la domination charismatique est une situation exceptionnelle permettant l’exercice du pouvoir par la seule séduction ou fascination qu’exerce un homme sur ses fidèles. On obéit dans ce cas au détenteur du pouvoir en vertu de la croyance en ses qualités exceptionnelles, que ce soit dans un contexte totalitaire (Mussolini, Hitler, Staline, Mao), démocratique (Churchill, Kennedy, Thatcher, Obama), ou dans un contexte de libération, de décolonisation et d’édification d’un nouvel Etat (Gandhi, Mandela, Nasser, Bourguiba).

Toutefois, Max Weber s’est arrêté là et n’est pas allé plus loin, et n’est pas entré dans la pratique des choses, comme le fait aujourd’hui John Antonakis (au triple nationalité, suisse, grecque et sud-africaine), professeur de comportement organisationnel à la Faculté de Commerce et d’Economie de l’Université de Lausanne, expert en recherches scientifique sur le charisme, pionnier en la matière, et dont la quasi-totalité des études ont porté sur le leadership (et notamment La nature du leadership, Publications Sage, 2017). Pour lui, le charisme peut être disséqué et enseigné. Il y a un apprentissage du pouvoir charismatique, comme il y a un apprentissage du militantisme ou de l’exercice politique. Il a d’ailleurs prédit la seconde victoire de Barack Obama et l’élection inattendue de Donald Trump à la présidence américaine en 2016.

John Antonakis a grandi en Afrique du Sud, et comme il trouvait que Mandela était très charismatique, il a voulu chercher si on pouvait mesurer le leadership et si c’était possible de l’apprendre, de l’enseigner et d’en faire l’apprentissage. Il définit alors le charisme comme un « pouvoir de séduction mystique », une « influence symbolique, un signal envoyé aux autres qui prend racine dans les valeurs et les émotions », même s’il est persuadé qu’il est difficile de définir le charisme, parce que chacun peut en avoir une idée propre. Ce charisme a plusieurs avantages : il permet de convaincre plus facilement, d’être écouté et suivi sur ses idées, et de laisser une image durable dans l’esprit de ses interlocuteurs. Un véritable outil de persuasion et de conquête de pouvoir en politique. Sa première étude a pris pour cible, non pas la politique, mais des managers d’une société high-tech suisse. On leur a enseigné la manière de se comporter de manière charismatique, puis on a recueilli les impressions de leurs collaborateurs et subalternes. Les managers sont devenus après trois mois plus appréciés et aimés, ont acquis la confiance de leur entourage et étaient vus comme plus compétents et influents.

Que l’on soit entrepreneur, homme politique, ou directeur d’un groupe quelconque, le charisme est une arme fatale incontournable. Les trois conseils que John Antonakis donne à une personne qui veut devenir charismatique sont ; 1) la communication par des messages symboliques, en les illustrant par des analogies, anecdotes ou métaphores. On pourra en multiplier les exemples. Quand Martin Luther King disait « I have a dream » ; quand Kennedy disait « ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays » ; quand Gandhi disait « il n’est pas nécessaire d’éteindre la lumière de l’autre pour que brille la nôtre » ; quand Bourguiba disait « d’une poussière d’individus, d’un magma de tribus, de sous-tribus, j’ai fait un peuple de citoyens », ils livrent chacun à sa manière un message symbolique ; 2) il faut exprimer ses valeurs, parce que les valeurs, comme les convictions, sont fondamentales pour inspirer confiance et diffuser le message d’un homme dans une perspective élargie ; 3) il faut pouvoir capter les émotions de son auditoire, sentir les sentiments de la collectivité ou de la foule présente. On est ici au cœur de la communication, qui consiste à sentir en profondeur ce que les autres pensent et ressentent, capter d’instinct leurs émotions intérieures. Et à ce jeu, Antonakis considère que c’est Mandela et Obama qui en étaient les maîtres.

Bien sûr l’apparence physique compte. Dans différentes expériences auprès de plusieurs groupes de personnes, on a exhibé plusieurs portraits d’hommes politiques qui se sont présentés à des élections. Il s’est avéré que les personnes politiques pour lesquelles on vote le plus sont des personnes qui ont un visage plus symétrique, plus avenant, exprimant une bonne santé. Mais heureusement, l’apparence seule ne suffit pas, sinon plusieurs hommes politiques charismatiques auraient été élus, même sans message substantiel ou sans impact. D’autres techniques comptent comme la gestuelle, les expressions faciales et la variation de la voix. Car, la maîtrise de l’expression des messages nécessite dans ce cas de l’apprentissage, de l’exercice et de la pratique. C’est elle qui permet l’approfondissement du cadre et de la substance des messages, censés être à la portée de tous.

Mais, plus fondamentalement, « le charisme est lié à l’intelligence et aussi au milieu d’apprentissage. Pouvoir parler de façon symbolique requiert beaucoup de capacités cognitives », estime Antonakis. Discours, savoir et expertise sont simultanément appréciés par le public. Si on cumule les techniques, le charisme devient une question à la fois de forme et de fond. La forme seule est trompeuse. Ceux qui gesticulent ou se contentent d’exprimer un verbe creux, ne savent pas au fond de quoi ils parlent, comme Trump ou bien d’autres. Ce sont des populistes avérés, qui ne peuvent dire autre chose que ce que l’opinion commune, un peuple en crise ou en désarroi souhaitent entendre, et qui n’ont pas les moyens d’aller au fond des choses.

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Hatem M'rad