Point de vue – Tunisie. Assumer pour reconstruire

 Point de vue – Tunisie. Assumer pour reconstruire

Fethi Belaid / AFP

Toute la classe politique tunisienne devrait profiter de l’occasion de la constitution du prochain gouvernement pour faire son mea culpa et passer à la reconstruction et aux réformes fondamentales.

 

Puisqu’on en est aux grandes consultations et « mouchawarat » constitutives du prochain gouvernement Mechichi ; puisque le nouveau chef de gouvernement désigné se proclame à la fois indépendant des partis, administrateur d’Etat, rassembleur et soucieux du Bien public; puisqu’il a pu élargir la discussion aux anciens hauts responsables politiques, présidents de la République et chefs de gouvernement, outre les partis et les organisations nationales, il serait intéressant de  profiter de l’occasion, pour procéder, avant la formation même du prochain gouvernement, et au préalable, à une triple reconnaissance nécessaire et utile de toutes les parties politiques concernées, pour aller de l’avant, opérer une rupture permettant de désavouer les pratiques néfastes de la transition et entamer les véritables constructions, tournant le dos aux politiques politiciennes.

 

Ancien régime, islamistes, démocrates laïcs

1) Les représentants, dirigeants de partis et responsables politiques de l’ancien régime, engagés dans la transition et post-transition, devraient reconnaitre les méfaits de la dictature de Ben Ali, au moment même où les théoriciens et partisans de ce régime, habités par une amertume post-révolution, et encouragés par les dérives de la transition, les sondages mettant le PDL et sa dirigeante, en position favorable par rapport aux autres partis, vantent encore, à la place des droits et libertés, les valeurs de sécurité, d’immobilisme et de fixisme d’un régime « idyllique », seul détenteur de recettes « miracles » pour étouffer la voix des citoyens, sous un président tyrannique et pilleur de la nation.

2) Les islamistes devraient reconnaître leurs responsabilités dans l’extension et l’intensification de la violence de la transition, le terrorisme, la haine entre les classes sociales et entre les Tunisiens, les hawalas  secrètes et mirobolantes de Qatar, le marchandage politique contre argent et la conception défectueuse du régime politique, imposé par leurs constituants majoritaires à l’ANC, qui se sont avérés, le moins que l’on puisse dire, peu versés dans le constitutionnalisme. Un régime politique qui, à lui seul, a provoqué le dysfonctionnement, non pas seulement du système politique, économique et social, mais de toute la société.

3) Les partis laïcs et démocratiques devraient reconnaître à leur tour, leurs responsabilités dans le développement, de manière consciente ou inconsciente, de la partitocratie, de l’instabilité politique, du nomadisme parlementaire, de leurs penchants aux gains rapides, de la légèreté de leurs coalitions faussement accommodantes, de leurs actions et programmes stériles, et leur complicité dans la mise en œuvre d’un régime politique défaillant établi pourtant contre eux.

 

Reconnaître tous ensemble

4) Tous ensemble, les trois catégories réunies, devraient reconnaître, chacun à sa manière, leurs responsabilités dans l’accumulation des difficultés politiques, économiques, sociales et institutionnelles de la Tunisie de ces dix dernières années, et l’extension diabolique de la corruption. Tous les camps politiques devraient reconnaître qu’ils n’ont pas cherché, d’une manière ou d’une autre, à améliorer les mœurs politiques, à faire prévaloir l’éthique politique, à mettre au premier plan le sens de l’Etat, les bienfaits de la révolution, à faire bon usage des droits et des libertés, à rompre avec le passé et à donner une vision rassurante de l’avenir démocratique aux Tunisiens, horriblement déçus par l’ensemble de leur classe politique, comme le démontrent l’élection même de Kais Saïed et le profil de Hichem Mechichi. Toutes les franges de cette classe politique devraient, ensemble, reconnaître encore que le changement de régime politique et la modification de la Constitution sont une nécessité impérieuse pour peu qu’ils soient conscients de la nécessité d’assainir le climat politique et de reconstruire le pays sur des bases saines.

 

Responsabilité du peuple

5) Cela n’exclut pas bien entendu la responsabilité du peuple, même si le peuple n’est pas responsable de l’action politique proprement dite et n’est pas comptable de ses décisions. Mais, le peuple a répondu facilement aux sirènes du populisme et du simplisme politique, qui aime voter pour des mirages, et qui participe lui-même au désarroi politique général du pays. Le peuple participe à son tour au chaos général, aux excès et aux dérives politiques à sa manière. Il faut savoir que le suivi de la vie politique se fait en Tunisie à partir des cafés de commerce, des réseaux sociaux, où souvent ragots riment avec politique, et des chaînes de télévision tantôt illégales, tantôt entre les mains de partis politiques (Ennahdha, Qalb Tounès) ou de patrons politiquement ambitieux et sulfureux.

Le débat politique est fondamentalement manipulé médiatiquement. Le peuple, visiblement peu instruit, constitue sans doute un appât facile. Les hommes politiques tunisiens n’existent pas en dehors du champ médiatique, sur le terrain et dans la proximité (mise à part les islamistes). Les Tunisiens, même éduqués, ne lisent pas de livres, même pas de journaux et revues de qualité. L’état du délabrement politique et parlementaire se ressource là. Il ne faudrait pas que l’opinion se plaigne alors du niveau des débats politiques, de ses délices et poisons. Une vie politique de qualité dépend aussi d’une citoyenneté compétente et responsable. Cela n’excuse pas, ou ne diminue pas, la responsabilité directe de la classe politique, mais l’enfonce encore davantage.

6) Je n’ignore pas que ces propos sont utopiques, que la classe politique est la seule qui soit convaincue de son utilité par l’effet de l’ambition égocentrique. Mais avouons qu’ils pourront tous, s’ils le souhaitent et le veulent, déblayer le terrain miné de la politique, construire l’avenir sur des voies solides et non sur des arrières pensées et des compromis chancelants. Il faut savoir choisir entre les rassemblements de façade et les rassemblements de fond. Autrement, ce nouveau gouvernement ne sera pas plus qu’un changement de forme de plus, avec les mêmes vices, mêmes dysfonctionnements et mêmes intentions machiavéliques des uns et des autres.

Assumer, reconnaître ses erreurs et l’exprimer publiquement, ça ne rabaisse pas l’acteur politique, ça le grandit. Ne serait-ce que pour mériter le nom de « responsable politique » et le rang qui lui convient. Au pouvoir ou à l’opposition, l’acteur politique n’est pas parfait, surtout en démocratie où tous les dirigeants sont éphémères. Comme l’a dit un auteur : « Il vaut mieux assumer ses erreurs que faire semblant d’être parfait ».

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Hatem M'rad