Eric Coquerel : « Les salariés ne paieront pas la facture du COVID19 »

 Eric Coquerel : « Les salariés ne paieront pas la facture du COVID19 »


Choix politiques et économiques pour le COVID-19, planification, industrialisation et nationalisation, et enfin inégalités et désert médical en Seine-Saint-Denis. Le député Insoumis revient sur la modification nécessaire à l’approche de notre société, plaçant en son cœur l’écologie et l’humain.


2 mois et demi après le 1er cas en France et 1 mois après le début du confinement, quel bilan tirez vous de cette crise sanitaire du coronavirus ?


C’est une triple crise. Elle est environnementale car l’homme prend de l’espace à la biodiversité. C’est une crise systémique dû à la mondialisation et au modèle économique libéral. Enfin, c’est une crise sanitaire car la France a diminué les dépenses de santé publique et ne s’est pas préoccupé de la production nécessaire au fonctionnement de l’appareil sanitaire (masques, tests, respirateurs, médicaments, lits).


N’importe quel gouvernement aurait été dans la même situation


Non. Tout est lié à la politique menée précédemment. Notre programme, l’Avenir en Commun, avait prévu de mettre 100 milliards sur les services publics et la transition écologique. Les néolibéraux nous demandaient où l’on aurait trouvé l’argent. Aujourd’hui, il est injecté de manière chaotique et désorganisé. Si l’intérêt général avait primé plutôt que la loi du marché, nous n’en serions pas là !


Comment auriez vous géré la crise, si vous aviez été au pouvoir ?


Il faut voir au-delà de la pandémie. Tout d’abord, l’hôpital public ne se serait pas trouvé dans cette situation. Le confinement est lié au faible taux de lits de réanimation et à la faiblesse de nos services publics, qui sont au cœur de notre société. Nous sommes opposés au système du libre échange généralisé, lié à la délocalisation. Prenons l’exemple de la société Péters Surgical à Bobigny qui fait des sondes pour le personnel de réanimation. J’ai écrit il y a 9 mois à Bruno Lemaire sur ce dossier, sans avoir de réponse. Aujourd’hui, elle travaille en 3*8 pour fournir 40 000 sondes. Elle devait fermer en juin pour délocaliser en Inde. Imaginez la situation si la crise était arrivée en juillet ! On aurait rajouter à la crise des masques, une crise des unités de réanimation.


Pour réussir, il faut du centralisme démocratique, un Etat plus fort ou une liberté donnée à l’intelligence collective ?


Il faut que l’Etat social soit présent. Les gens s’imaginent un modèle à la soviétique  mais nous envisageons juste une organisation écologique et économique différente. C’est la planification. De Gaulle la faisait aussi. Nous avons besoin d'un nouveau partage des richesses. L’objectif aujourd’hui est le maximum de profits au détriment des revenus du travail. On est en train de le payer aujourd’hui. Cet argent dilapidé aux mains de quelques uns nous manque aujourd’hui !


Vous proposez une nationalisation de Famar Lyon, de Luxfer et de quelques entreprises stratégiques. Comment souhaitez-vous vous y prendre concrètement ?


C’est juste un décret à prendre. Vous pouvez réquisitionner une société. Dans les cas de Famar Lyon ou Luxfer, il s’agit d’entreprises qui ferment. Ce n’est pas compliqué que l’Etat rachète pour un euro symbolique ses entreprises et qu’on les fasse fonctionner à nouveau.


C’est aussi simple que ça ?


Oui tout à fait. La constitution donne le droit, en temps de situation exceptionnelle, à l’Etat la possibilité de réquisitionner. Le chef de l’Etat parle de guerre. Ce n’est pas le bon terme mais ça montre la gravité de la situation.


Peut-il y avoir un consensus sur ce sujet ?


L’Etat en parle beaucoup mais n’agit pas. La crise que nous vivons actuellement ramène, toutes proportions gardées, à celle de la guerre de 1914-1918 qui a clôt la 1ère mondialisation. Elle montre l’inefficacité du système face à ce genre de situation. Il faut des mesures radicales que le gouvernement ne fait pas. A l’inverse, l’Allemagne cherche à acquérir une domination économique sur l’Europe, incapable de réagir.


Le président Macron va annoncer de nouvelles mesures économiques et de confinement. Est ce la bonne solution ?


Investir dans l’économie est nécessaire. Je ne pense pas que les tenants du néolibéralisme soient les mieux placés pour le faire. Il faut construire sur de nouvelles bases. L’un des constats que cette crise a apporté, est la dépollution partielle de la terre. Si on repart sur du productivisme à outrance et la croissance comme étendard, on va droit dans le mur !


Il faut donc une France plus locale, plus resserrée sur elle-même


Non. Il faut reconquérir sa souveraineté sur certains secteurs. Ce n’est pas le repli sur soi. Cela peut être fait, dans un cadre de coopération vers le Maghreb ou l’Afrique, avec lesquels nous avons des rapports économiques de longue date. Il faut par contre arrêter les délocalisations au nom du profit.


Pensez-vous à l’instar de la défense nationale, qu’il faudrait qu’une partie du budget soit consacrée à la sécurité sanitaire nationale ?


Je vais vous répondre autrement. Tout ce qui est lié de manière fondamentale à l’intérêt général (santé, éducation, eau, énergie, transports, médicaments,…) – et ça l’a été dans le temps – soit sorti du marché avec des entreprises du service public. On sort du critère de la rentabilité pour entrer dans l’ère du besoin pour l’être humain. Ce que nous vivons est la 1ère crise écologique. Nous en aurons d’autres. Si on ne réagit pas maintenant, il sera trop tard un jour.


Certains au Medef et au gouvernement demandent à ce que les salariés « travaillent plus » pour remédier à la crise. Est ce que ce ne sont pas les citoyens qui vont payer « la facture » ?


Ca serait une politique stupide. Les salariés ne sont pas en vacances aujourd’hui. Et puis, travailler plus au nom de quoi ? Si c’est dans l’intérêt national, ça pourrait peut-être être entendable mais s’il s’agit de relancer l’économie, sur les mêmes bases de répartition de richesses que nous avons aujourd’hui, ce n’est pas possible que ce soit les travailleurs qui paient l’addition.


Vous étiez parmi le plus réticent au sein de la France Insoumise à la tenue des élections municipales. Est-ce une erreur du gouvernement ou y’a t’il une responsabilité de tous les partis politiques ?


La responsabilité incombe pleinement au gouvernement. Nous ne gouvernons pas le pays. En circonscription, j’ai perçu une plus forte prévalence de personnes contaminées qu’on ne le disait à l’époque.  Quand le Président Macron et Edouard Philippe prennent leurs décisions de fermetures des écoles, bars, etc.. mais de maintien des élections, il y a là une erreur gravissime. Au sommet de l’Etat, on sait que l’on va confiner, dés jeudi, mais ils prennent la décision de maintenir le premier tour. C’est irresponsable ! Ils n’ont jamais demandé l’avis des chefs de partis politiques sur la tenue de ses élections. En Seine-Saint-Denis, c’est plusieurs maires hospitalisés, des gens décédés, des militants par dizaines atteints par le coronavirus. A Saint-Ouen, un quart de la liste que j’ai soutenue, a eu des symptômes ou a été testé positif.


Comprenez-vous que des assesseurs et militants portent plainte ?


Il faut attendre l’après-crise mais il y’en aura. Une enquête parlementaire est prévue mais ça doit aller devant le pénal. Si c’est une erreur d’appréciation, la question peut rester entière. Si par contre, comme l’affirme Agnès Buzyn, le gouvernement était au courant dés la fin janvier, c’est une faute scandaleuse. Le principe de précaution n’a pas été appliqué.


Vous êtes député de la Seine-Saint-Denis, département qui a un taux élevé de surmortalité élevé. A quoi cela est ‘il dû ?


Une crise épidémique accentue les inégalités. Or, ce département est celui qui subit le plus les inégalités, selon le rapport de François Cornut-Gentille et Rodrigue Kokouendo. Au point que le gouvernement a été obligé de réagir, avec un plan insuffisant à mes yeux. L’épidémie devient plus virulente. Dernièrement, le préfet a annoncé devoir augmenter le trafic en bus et en tramway. Il s’agit d’une preuve supplémentaire que les gens sont bien obligés d’aller travailler et sont donc plus sensibles à la contamination. De plus, l’équipement des soins sanitaires en Seine-Saint-Denis est insuffisant par rapport à la population. Si c’est déjà difficile en temps normal, ca devient dramatique en temps d’épidémie.


Faut-il arrêter les rassemblements d’hôpitaux qui étaient prévus comme celui du nord prévoyant par exemple la fermeture de l’hôpital Bichat à Paris et celui de Bezons ?


J’appelais déjà à l’arrêt avant. Inutile de vous dire que je le redemande fermement ! Si cette épidémie nous avait touché pendant l’exécution de ce plan, on aurait perdu 60% des lits existants.


Le Dr Zishan Butt, médecin régulateur du SAMU 93, nous a parlé de « 50% des médecins urgentistes en arrêt maladie à cause du COVID-19 ». Que doit-on faire urgemment pour le département ?


Cela ne m’étonne pas. Le personnel soignant est en première ligne et n’est pas protégé. Le matériel n’arrive pas. Les urgentistes d’Ile-de-France proposent plutôt que d’envoyer des trains TGV en province, de faire venir des régions moins touchés, du matériel et surtout du personnel. Ca me semble une solution plus judicieuse.


Voir aussi : 


Dr Butt : "Il y a plus de morts qu'annoncés en Seine-Saint-Denis"


Meriem Merfouche : "Je ne pensais pas un jour mettre en bâche des corps"


Tribune : Il faut sauver le "soldat" Famar Lyon


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Yassir Guelzim

Yassir GUELZIM

Journaliste Print et web au Courrier de l'Atlas depuis 2017. Réalisateur de documentaires pour France 5.