« En quoi l’agissement d’une seule personne engagerait toute une religion? », Alexis Bachelay, député PS des Hauts de Seine

 « En quoi l’agissement d’une seule personne engagerait toute une religion? », Alexis Bachelay, député PS des Hauts de Seine

Alexis Bachelay


Dans la très (trop) célèbre affaire "du maillot de bain de Reims", Alexis Bachelay, député PS des Hauts de Seine, a été l'un des rares hommes politiques à ne pas avoir "chassé en meute", peut-être parce que comme il le dit "il y a eu par le passé d'autres affaires de ce genre"… Interview.


 


LCDL : Que vous inspire l'affaire du maillot de bain de Reims ?


Alexis Bachelay : Déjà, je suis toujours un peu en colère de voir comment cette affaire a été traitée, non seulement par la classe politique mais aussi par certains journalistes. Avant de connaître les détails de ce fait divers, beaucoup ont rapidement fait des raccourcis en prétendant que les raisons de l'agression de cette jeune femme en maillot de bain qui prenait le soleil dans un parc public à Reims, étaient d'ordre religieux ou moral, avec derrière le spectre d'une islamisation de la société française.


Cette banalité transformée, amplifiée, déformée, devenait une preuve irréfutable de l'invasion des intégristes musulmans voulant remettre en cause "notre mode de vie", alors même que la question religieuse se révèlera absente de l'affaire initiale : le parquet de Reims indiquera très vite, dès dimanche que "ni la victime ni les auteures des coups n'ont fait état, lors des auditions, d'un mobile religieux ou d'un mobile moral qui aurait déclenché l'altercation". Il s'agissait donc juste d'un banal fait divers comme il y en a tous les jours, une bagarre qui a dégénéré entre des jeunes filles. 


Avez-vous été surpris par l'ampleur des réactions ? 


Alexis Bachelay : Non, parce qu'il y a eu par le passé d'autres affaires qui ont connu un tel emballement. Comme celle du "pain au chocolat de Copé" où à partir d'un fait divers (ici, on ne sait même pas si le fait est avéré), on dit tout de suite qu'il y a un problème avec l'islam et les musulmans.

Dans l'affaire de Reims, même s'il y avait eu un motif religieux : ça peut  arriver, et bien entendu je le condamnerais, qu'un extrémiste religieux (toute religion confondue), considère qu'on peut s'en prendre à quelqu'un pour des raisons vestimentaires, donc si c'était le cas, en quoi l'agissement d'une seule personne  engagerait toute une religion ? Sommes-nous allés voir à l'église, avons-nous été voir si Guy Georges ou Émile Louis lisaient la Bible quand ils ont commis leurs actes horribles ? Quand le coupable  s'appelle Mohamed et qu'il  fréquente une mosquée, cela devient systématiquement pour certains un élément d'explication.   


Il y a eu des réactions au-delà de la fachosphère …


Oui et ceci s'explique par le fait que ce soit un journal local (NDLR : l'Union de Reims) qui a parlé en premier de ce fait divers; les gens font plus confiance en la presse locale à cause de la "proximité". Et puis, l'intrusion de Sos Racisme (Ndlr: l'association déclarant "refuser une morale de l'oppression qui réduit nos libertés" avant de lancer un appel à manifester) a fini par rendre définitivement crédible cette affaire. L'extrême-droite, coutumière du détournement de faits divers, a été en première ligne avec Florian Philippot, numéro 2 du FN, qui a suggéré à celles qui auraient "lynché une jeune fille vivant à la française" de se rendre auprès du roi d'Arabie Saoudite : "pas de ça chez nous"!  Pour Stéphane Ravier, maire d'arrondissement FN de Marseille, la "charia en bas d'chez soi, c'est maintenant !". 

Mais l'indignation politicienne ne s'est pas cantonnée au FN. Pour Eric Ciotti : "on veut nous imposer un mode de vie qui n'est pas le nôtre", pour Lydia Guirous, porte-parole des Républicains, il s'agit d'une "illustration de plus de la radicalisation religieuse". L'emballement médiatique a atteint des sommets : même des sites journalistiques reconnus ont été contaminés. 


La gauche n'a pas été en reste …


Oui et je le déplore. Au niveau de l'Etat, le délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme dont on découvre l'existence !, a fustigé le manque de réactions des "habituels défenseurs de la liberté vestimentaire", validant la thèse d'une agression délibérée. Tous ont pris pour acquis la thèse d'un choc des civilisations, validant les discours de l'extrême-droite pour qui une "islamisation de la société" menacerait le mode de vie des Français. En disant défendre une "culture de liberté", on en dénonce en miroir une autre culture présentée comme radicale, dangereuse, pernicieuse. L'étrangeté serait arrivée jusqu'aux portes de Reims ! Tout un symbole : dans la ville où ont été sacrés les rois de la France, fille ainée de l'Eglise…


Suite à cette affaire, vous avez co-rédigé avec votre collègue député  socialiste du Cher, Yann Galut, une lettre ouverte adressée "à celles et ceux qui sautent sur tout prétexte pour attaquer les musulmans de France"….


Oui, c'était important pour nous de réagir très vite.  Il y a deux ans  avec Yann Galut et d'autres, on a  créé La Gauche Forte parce que nous trouvions notamment qu'à gauche, il n'y avait plus personne pour  répondre aux discours xénophobes. Mis à part quelques associations antiracistes, les partis traditionnels à gauche semblent avoir "abandonnés" la partie. Où est  la Gauche ? Où sont les Républicains ? Où sont ceux qui défendent l'idée d'une république qui ne discrimine personne ? Ces affaires qui se répètent inlassablement font des dégâts dans l'inconscient collectif.  Il est vraiment temps de réagir avant qu'il ne soit trop tard.


Nadir Dendoune


 

Nadir Dendoune