Zouhair Lahna, l’humanitaire dans les veines

 Zouhair Lahna, l’humanitaire dans les veines

Archives personnelles du Dr Lahna


Depuis vingt ans, ce chirurgien obstétricien sillonne les zones de conflit et les villages reculés pour soigner réfugiés et démunis. Et forme les médecins locaux pour prendre le relais. Portrait


Zouhair Lahna est un homme pressé. ­Dimanche 17 septembre, ce chirurgien obstétricien rentre d’un séjour dans le Haut Atlas marocain, dans des villages enclavés de l’Oukaïmeden (à 80 km de Marrakech). L’homme à la barbe finement taillée en collier y a gracieusement formé aux accouchements compliqués des sages-femmes et des médecins locaux. “Dans ces villages coupés du monde, si un rhume se complique, un enfant peut décéder. Une femme enceinte, atteinte d’une grippe, peut mourir si elle n’est pas soignée à temps. Parfois, il n’y a pas de médecin”, témoigne-t-il.


 


Renoncer au confort du cabinet


Chez le Docteur Lahna, l’humanitaire est devenu une vocation, presque une seconde nature. Depuis vingt ans, il sillonne la planète, pour le compte d’associations comme Médecins Sans Frontières (MSF) ou Médecins du Monde… Des Comores, au Congo en passant par les camps de réfugiés en Palestine ou en Syrie, il voyage dans les zones les plus dangereuses afin de former sages-femmes et chirurgiens. Sauver des vies est devenu son credo. Au péril de la sienne.


C’est en 1966 à Casablanca que Zouhair Lahna voit le jour dans une famille modeste. Son diplôme de médecine générale en poche, il s’envole à Paris pour une spécialité en gynécologie en 1998. Cette année-là, le déclic s’opère : il s’intéresse au mouvement humanitaire. “Je n’oublie pas que je viens du Maroc, un pays intermédiaire où l’accès aux soins est difficile pour les gens nécessiteux. On est forcément marqué par la précarité. Je voulais faire quelque chose pour les démunis, les réfugiés, les pauvres. J’ai renoncé au confort de mon ­cabinet”, avoue cet ancien chef de clinique des Universités de Paris, qui a longtemps exercé en banlieue, à Aubervilliers.


 


Afghanistan, Inde, Ethiopie, RDC…


Dès lors, il multiplie les voyages : camps de réfugiés en Afghanistan en 2001 – “Une expérience très forte, se souvient ce père de quatre enfants. J’ai été projeté en arrière. Je me suis retrouvé avec des gens très simples et bons.” Puis c’est l’Inde, l’Ethiopie en 2003, la RDC en 2004, les camps palestiniens en 2008, où il aide les hôpitaux locaux… “Si on forme bien une sage-femme, elle devient compétente et sûre d’elle, utilise les bons moyens pour sauver des femmes et des ­nouveau-nés, même dans les situations ­difficiles”, soutient-il. Le médecin franco-marocain veut surtout rendre opérationnels les chirurgiens et les gynécologues ­locaux. Transmettre le relais en somme.



Huit missions dans le chaudron syrien


Puis le bouillonnement des printemps arabes l’interroge : “A partir de 2011, je me suis rendu dans des pays tels que la Tunisie, la Libye, le Yémen… qui ont connu une effervescence. Leur système médical reste fragile”, lâche-t-il. Il est l’un des rares médecins étrangers à avoir effectué, dès 2012, plusieurs missions dans le chaudron syrien. Huit au total, entre Alep et Idlib, où les combats font rage entre des rebelles et les forces du régime de Bachar al-Assad. Dans des hôpitaux de fortune syriens, il soigne le corps de femmes, répare les dégâts occasionnés par des naissances compliquées. “La vie continue et on continue à soigner des gens, même en temps de guerre”, dit-il.


“Les pays arabes sont en grande difficulté au niveau de la santé. La disparité villes-campagnes ne donne pas un accès égalitaire aux soins. Mais en Syrie, la situation est empirée par la guerre.” Le 2 juin 2016, le médecin franco-marocain rejoint sa famille à Casablanca. Il poste sur sa page Facebook : “Le cœur serré, je quitte la Syrie vers l’autre monde. Un monde séparé par une frontière de bétons où il ne pleut pas des bombes.”


“Nul n’est prophète en son pays”, glisse le docteur Lahna. Une litote qui en dit long sur son parcours du combattant au Maroc. “Autorisations non délivrées”, “portes fermées”, le chirurgien se heurte selon lui à “un problème politique”. Son activité d’humanitaire au grand cœur n’est pas vue du meilleur œil. “J’ai eu toutes les difficultés du monde à exercer – parfois clandestinement – et à former des sages-femmes.”


 


Un centre de santé à Casablanca


Dernier épisode en date : l’ouverture du centre de santé Injab (procréation, en arabe) sous l’impulsion du praticien, dans le quartier populaire de Oulfa, à Casablanca, où résident nombre de réfugiés syriens et africains. “Un lieu accessible aux réfugiés et aux nécessiteux souhaitant se faire opérer ou accoucher. Les consultations sont gratuites et les actes chirurgicaux effectués à moindre coût.” Après quelques péripéties (une commission du ministère de la Santé a été dépêchée sur place arguant qu’aucune demande d’autorisation d’ouverture ne leur était parvenue), le centre a finalement ouvert ses portes le 15 janvier 2016.


“Face à des difficultés, soit on abandonne, soit on intègre le système, soit on se bat. J’ai décidé de me battre.” Il ajoute : “Un centre offre une stabilité, des formations permettent la transmission du savoir. En revanche, on ne guérit pas les gens avec des caravanes médicales qui se déplacent en montagne et restent deux heures in situ et repartent. Au Maroc, la santé souffre d’un manque de volonté politique.” Parallèlement, l’homme poursuit ses formations de sages-femmes dans plusieurs villes du pays : Errachidia, Meknès, ou dans le Haut Atlas…


 


Une démarche désintéressée


Ce qui le turlupine aussi, c’est la marchandisation de la médecine, sa privati­sation, son aspect mercantile. Au Maroc, ne peut être soigné qui veut mais qui peut. “La médecine n’est pas faite pour gagner de l’argent. Ce n’est pas éthique. Cela fragilise une société. La médecine doit être accessible à tous. Elle est un art. Il faut investir surtout dans l’humain. Avec des ONG locales, nous formons des jeunes, aux premiers soins de secours par exemple. La santé est un bien-être public, elle est l’affaire de tous.”


Ce ne sont pas les gens du corps médical qui soutiennent l’action et la cause du docteur. Loin de là ! Mais plutôt “des particuliers, chefs d’entreprise, ingénieurs, mécènes”. Et le médecin de conclure : “J’essaie de proposer une médecine différente, adaptée à nous, efficiente. Actuellement, dans nos CHU on donne des rendez-vous pour se faire opérer à un an ! Alors, j’aide les cas urgents, je les soulage, j’opère ceux qui sont dans le besoin. La médecine n’a pas de prix mais elle a un coût. Je me bats pour proposer le plus juste et le plus bas.”


MAGAZINE OCTOBRE 2017

Abdeslam Kadiri