Salim Ejnaïni, vaincre sans voir

 Salim Ejnaïni, vaincre sans voir

crédit photos Geoffroy Van Der Hasselt/AFP


Il est un des rares cavaliers non-voyants guidé uniquement à la voix. Entre ses entraînements et l’écriture de son livre, il s’est confié au “Courrier de l’Atlas”. Portrait d’un compétiteur franco-marocain hors normes. 


Il est tard ce samedi-là quand Salim, 24 ans, entre sur la piste. Le dos droit, élégant, il chevauche Rapsody. La concentration se lit sur son visage. Il enchaîne les sauts. Dans le silence résonnent les appels de ses guides, dont Philippe Rozier et Guillaume Canet. Ils crient pour lui indiquer les obstacles. Car Salim est aveugle et guide sa monture au seul son de leurs voix. “Pour moi, il était impossible de diriger son animal avec uniquement des indications sonores, se souvient six mois plus tard le champion olympique. Assister à une telle performance, ça vous remet à votre place. J’en connais qui voient très bien et qui sont loin d’avoir son niveau.”


 


Une performance hors normes


Figure phare de l’équitation handisport hexagonale, ­Salim s’est révélé au grand public grâce à cette performance hors normes. Habituellement, les compétiteurs non-voyants suivent un autre cavalier qui les précède sur le parcours d’obstacles. “Selon moi, sur une selle, on est tous égaux, philosophe Salim entre deux jeux de mots. J’affronte des cavaliers. Après, savoir qui est le meilleur parmi les miros…” Le compétiteur est aujourd’hui inscrit dans un circuit amateur et concourt avec des valides.


Vainqueur du circuit français handisport de saut d’obstacles en 2011 et 2013, le cavalier a surtout remporté le concours international de La Baule en 2015, la plus prestigieuse épreuve mondiale dans la discipline. Comme en 2014, il s’affichait en rouge et vert. “Mes parents sont marocains. Ma famille est marocaine. Je sais où sont mes racines et c’est normal de représenter mon pays d’origine dans des événements internationaux”, raconte-t-il. Et de nous confier : “J’ai déjà travaillé avec le Royaume, et j’ai à cœur de recommencer. Le milieu équestre marocain est captivant parce qu’il mélange l’équitation moderne et les pratiques traditionnelles. C’est un très beau pays de cheval.” *



“D’habitude, j’aime pas les cons, mais toi…”


Salim le dit lui-même : il a été “livré avec un défaut”. “Génétiquement, j’étais mal programmé”, raconte-t-il. Né à Bordeaux de parents marocains, on lui diagnostique à 6 mois un cancer de la rétine. De la “belle endormie” bordelaise à Paris, on le trimballe de centres curatifs en services spécialisés. Au bout d’un an et demi, il sort guéri. “J’étais un petit gamin de 2 ans qui avait un restant visuel. Aux yeux de la loi et de la médecine, j’étais aveugle, mais j’y voyais. J’y voyais quoi ? Je pouvais repérer des formes, des visages, des couleurs. Je sais à quoi ressemble le monde.” La suite ? Une enfance presque comme les autres garçons de son âge. Il apprend le braille au lieu d’écrire, joue à chat dans la cour – “par contre, dès qu’il y avait un platane, il était pour moi”, plaisantait le cavalier dans une conférence en janvier –, se prend de passion pour Daredevil, le justicier aveugle de New York, et, surtout, découvre l’équitation.


“La première fois que j’ai posé mes fesses sur un cheval, c’était pour une journée à thème”, lance-t-il de sa voix douce. Il rentre le cœur battant et n’aura qu’une seule envie : remonter. Le club où il s’initie ne propose pas de cours pour les enfants handicapés. Sa mère mettra un an avant de trouver une structure qui accepte d’entraîner un enfant malvoyant. En mars 2004, il commence les leçons particulières puis enchaîne avec les cours collectifs. Deux ans plus tard, il retourne à Bordeaux et s’inscrit dans un nouveau club… Et en 2008, Salim débute la compétition. La même année, il perd définitivement la vue.


“Nous nous sommes connus sur une compétition, se souvient Laetitia Bernard, une de ses amies, journaliste à Radio France et six fois championne de France de sauts d’obstacles handisport. Nous étions concurrents sur les pistes, mais on a tout de suite été copains. Il a toujours eu une confiance incroyable. Déjà, face à un obstacle particulièrement haut, il ne se plaignait pas. Au contraire, il était heureux, enthousiasmé par le défi.” A l’époque, Salim était déjà un littéraire. “Il m’envoyait ses textes, confie Laetitia. Dont un qui m’avait marquée : une version de Harry Potter dans laquelle le héros ne voyait pas.”


 


“Je suis un brun de 1,74 m qui aime l’équitation”


Depuis, Salim a grandi mais n’a pas abandonné ses projets d’écritures. Le plus important à ses yeux est né en février 2017 sur le plateau de Salut les Terriens, sur C8. Invité de l’émission consacrée à l’acteur Guillaume Canet – les deux cavaliers sont amis –, Salim échange avec Laurent Baffie après l’émission. L’humoriste attaque. “D’habitude, j’aime pas les aveugles, mais toi je t’aime bien.” Le cavalier rétorque, sourire aux lèvres. “D’habitude, j’aime pas les cons, mais toi je t’aime bien.” La blague n’en était pas vraiment une. A Salim, Baffie expliquera qu’il ne le voyait pas comme un aveugle mais “comme un mec normal qui ne voit plus”. Le cavalier, lui, en tirera une leçon. “A ce moment-là, je me suis dit qu’il fallait que je raconte mon histoire pour que les gens comprennent mieux ce que vivent les aveugles.”


“Mon handicap, c’est un truc qui me définit uniquement aux yeux des autres, lance-t-il. Je suis non-voyant, mais je suis aussi un mec brun de 1,74 m qui adore l’équitation.” Cavalier bien sûr, kinésithérapeute de formation, pilote d’avion, cinéphile, journaliste pour des revues spécialisées, il a depuis cette rencontre ajouté un nouveau projet à sa vie déjà plurielle avec le début de l’écriture d’un livre, en grande partie autobiographique. Edité chez Fayard, Salim espère qu’il sortira début 2018. “On a un vrai problème avec la différence, argue le jeune homme, ou plutôt, la méconnaissance de la différence. Du coup, les gens ont peur, et ça c’est le vrai fléau de notre société.” Il considère que partager son expérience fera changer les choses. Ecrire et transmettre, pour endiguer la peur. 


* En avril 2016, Salim Ejnaïni a reçu le Prix de la reconnaissance du Trophée Maroc Equestre.


MAGAZINE OCTOBRE 2017

Clement Poure