Tunisie. Akacha gate : des fuites audio qui embarrassent Carthage

 Tunisie. Akacha gate : des fuites audio qui embarrassent Carthage

Nadia Akacha

Surnommée la boîte noire du Palais, Nadia Akacha n’était pas qu’une cheffe de cabinet avec grade de ministre. Omniprésente aux côtés du président de la République Kais Saïed durant ses deux premières années de mandat, privilégiée au point d’outrepasser le protocole habituel réservé à son rang, cette anciennement puissante « régente de Carthage », remerciée il y a trois mois, fait l’objet de plusieurs leaks. Des fuites d’autant plus encombrantes pour le régime Saïdiste qu’il est actuellement en pleine phase constituante.  

Adoptant une ligne de défense pour le moins confuse, l’ex-« dircab » a dans un premier temps démenti l’authenticité desdites fuites, avant de tenter d’en minimiser l’impact. Mais depuis que les auteurs des leaks ont accéléré la cadence à raison d’un enregistrement par jour, l’intéressée semble se rendre à l’évidence.

Tout indique en se référant au contenu de ces audios qu’il s’agit de conversations récentes, dont certaines remontent à quelques jours, pendant le mois du ramadan, où Nadia Akacha s’adresse à un interlocuteur dont la voix a été masquée. Le huitième enregistrement, sur une série de dix publiés à ce jour, révèle que Akacha a élu résidence entre Paris et Berlin, à l’image de plusieurs figures de la scène politique tunisienne en exil européen depuis le coup de force de Kais Saïed le 25 juillet 2021, et ce malgré l’interdiction de voyager généralisée à une grande partie de la classe politique.

Contrairement à des fuites audio ayant compromis dans un passé proche d’autres personnalités proches de l’actuel pouvoir, des leaks de messages vocaux en provenance d’applications de messagerie (qu’un simple envoi à une personne tierce peut rendre viraux), nous avons cette fois affaire à des écoutes de conversations téléphoniques. Une distinction qui implique un tout autre degré d’expertise, ce qui fait conclure à certains analystes qu’il s’agit en l’occurrence du fruit d’une technologie autrement plus sophistiquée, « probablement Pégasus », d’autant qu’au moment de ces écoutes Akacha se trouve sur le sol français ou allemand.

 

L’étonnant épisode impliquant l’ambassadeur US

Les Tunisiens connaissaient le profil discret et l’attitude plutôt austère de l’ancienne bras droit du président Saïed. Au fil de ces enregistrements distillés de façon quotidienne sur le web, ils découvrent une autre facette, narquoise, lorsqu’elle ironise sur les maladresses de la première rencontre entre Saïed et Macron. Mais aussi sadique lorsqu’elle reconnaît avoir fait attendre une heure dans le froid parisien son ancienne collègue et rivale Rachida Ennaifer, ou encore méprisante pour le matérialisme et l’intéressement des influenceurs pro Saïed sur les réseaux sociaux.

On y découvre par ailleurs ses qualités de diplomate, lorsqu’elle évoque l’ahurissant incident où l’ex-ambassadeur américain à Tunis aurait, selon ses dires, évité de peu l’expulsion, si ce n’était ses efforts présumés pour calmer le président Saïed en octobre 2021 et le ramener à la raison.

Akacha révèle en effet que, furieux après que le congrès US ait tenu une séance plénière virtuelle consacrée à la situation en Tunisie, Kais Saïed « était déterminé à expulser l’ambassadeur américain » en guise de protestation, arguant que la Tunisie ne se mêlait pas des affaires internes des Américains… Saïed se contente au final de convoquer l’ambassadeur, un épisode qui explique probablement que ce dernier n’ait pas été remplacé à ce jour par les Etats-Unis, depuis son récent départ pour le Pakistan.

 

Les secrets de l’Etat sur la place publique

L’auteur des leaks a néanmoins choisi d’ouvrir le bal des fuites par le volet médical : un extrait sonore où Akacha se dit inquiète de l’état de santé mental du chef de l’Etat, qui « va très mal sur le plan psychologique » selon elle, ce qui lui fait présager qu’il « finira mal » dans la mesure où il « néglige le traitement qui lui est prescrit ».

En marge de ses vœux de l’Aid al-Fitr, le président Kais Saïed a annoncé sa volonté d’instaurer « une nouvelle République », via « une nouvelle Constitution pour la Tunisie, préparée par un comité de juristes, et qui sera soumise au Référendum le 25 juillet prochain », date anniversaire de son coup de force. « Une République ad hoc » ironisent aujourd’hui les détracteurs de cette constituante express, pour qui ce que ces fuites disent du régime c’est surtout une flagrante inaptitude à choisir jusque ses plus proches collaborateurs et confidents.

 

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Seif Soudani