Tunisie. La démission de Nadia Akacha, bras droit de Kais Saïed, affaiblit le Palais

 Tunisie. La démission de Nadia Akacha, bras droit de Kais Saïed, affaiblit le Palais

La ministre-conseillère, directrice du cabinet du président de la République, Nadia Akacha, a annoncé sa démission en fin de journée du lundi 24 janvier. En claquant sèchement la porte au terme de deux années de service, celle que l’on surnomme la boite noire du Palais de Carthage, affaiblit politiquement le président Saïed, en plein effort de guerre. Décryptage. 

« Je vous présente ma démission étant donné l’impossibilité de continuer à travailler avec vous dans ces conditions », peut-on lire dans un document fuité manuscrit. Dans un post Facebook, Akacha a développé un peu plus les raisons de son départ, tout en restant laconique : « Face à l’existence de divergences fondamentales de point de vue avec le président de la République, il est de mon devoir de me retirer de ma fonction aujourd’hui, pour l’intérêt supérieur de la patrie ».

Sur le plan de la forme tout d’abord, outre la teneur passablement sèche voire hostile du texte, on notera que Nadia Akacha s’adresse d’égal à égal au président de la République, et non comme subordonnée. En évoquant des « divergences fondamentales », elle se conçoit visiblement comme une personnalité politique à part entière, et l’on peut même y voir une forme de déclaration d’intention entre les lignes et d’acte fondateur d’une carrière post Carthage, forte de cet affranchissement.

C’est que l’intéressée fut tout sauf une dirigeante administrative du cabinet présidentiel, à mesure de sa montée en puissance en 2020 et 2021 qui en a fait la nouvelle « régente du Palais ».

Fin 2019, cette ancienne étudiante de Kais Saïed, totalement inconnue du grand public, est nommée conseillère juridique dans le cabinet présidentiel, avec prise de fonction immédiate, avant d’être désignée dès le 28 janvier 2020, directrice du cabinet du président. Elle profitait alors de la vacance dudit cabinet déjà décimé par les démissions et limogeages en série. Un décret présidentiel accorde à la jeune collaboratrice le rang et les privilèges d’une ministre.

Au fil des mois, l’omniprésence de Akacha créé un précédent protocolaire inédit dans l’histoire de la République tunisienne : jamais un chef de cabinet n’avait été de tous les déplacements présidentiels nationaux et internationaux, au point d’être confondue à l’étranger avec une Première dame. On lui prête également une grande influence dans les nominations des ministres et des hauts fonctionnaires de l’Etat avant et après le coup de force du 25 juillet.

 

Guerre des clans

Si nous ne saurons probablement jamais le déclic qui a précipité ce retrait, cela fait plusieurs semaines que le caractère démissionnaire de la cheffe de cabinet emblématique était un secret de polichinelle.

Car au-delà des allégations de différends opposant Nadia Akacha au ministre de l’Intérieur Taoufik Charfeddine ou encore aux généraux de l’armée, cette démission est avant tout symptomatique d’un malentendu fondamental existant entre deux pôles de partisans du président Saïed. Un hiatus exacerbé par les évènements du 25 juillet, entre les nostalgiques de l’avant révolution de 2011 d’un côté, et les « révolutionnistes » radicaux qui font le noyau dur de l’entourage de Saïed.

En dehors de quelques très rares prises de parole publiques, on ne connait pas d’orientation politique claire à Nadia Akacha, mais un faisceau de publications de l’ex cheffe de cabinet sur les réseaux sociaux, tout comme son court parcours professionnel, permet d’en déterminer les contours idéologiques, par déduction.

En août 2020, le député Qalb Tounes, Oussama Khelifi, défendait ainsi celle qu’il qualifie d’« ancienne collègue à Nidaa Tounes » contre les campagnes de dénigrement, en publiant une photo d’elle lors d’une réunion de l’ancien parti de Béji Caïd Essebsi.

Au lendemain du 25 juillet 2021, Nadia Akacha avait relayé sur sa page officielle une chanson composée par Latifa Arfaoui, chanteuse anciennement laudatrice de l’ancien régime de Ben Ali, à la gloire du coup de force anti Parlement. Un clip retiré de la page de la TV nationale 24 heures après sa diffusion.

Un tweet pro-théorie du genre est aussi souvent évoqué par les détracteurs de Akacha en raison du paradoxe que représente cette posture féministe, lorsque l’on connaît les positions conservatrices du président Saïed, notamment opposé à l’égalité dans l’héritage entre les deux sexes.

Jusque récemment, les deux « pôles » de soutiens du président Saïed, deux tendances avec pour dénominateur commun leur hostilité aux islamistes d’Ennahdha, ont pu passer outre leurs différences de point de vue. Néanmoins depuis que le chef de l’Etat a les coudées franches, la mise à exécution du grand chantier présidentiel de refonte de l’Etat s’accompagne du retour en grâce des compagnons de route du président, dont Ridha Chiheb Makki dit « Lénine », une tendance qui aurait réclamé à plusieurs reprises en coulisses le départ de Nadia Akacha.

A l’image de Rachida Ennaifer, autre démissionnaire du palais qui a continué à exercer une bienveillance à l’égard de Kais Saïed, il est peu probable que Nadia Akacha sorte de son devoir de réserve dans un futur proche. Son départ n’en demeure pas moins un coup dur pour le régime autocratique qui tente de se mettre en place, un départ qui interroge une fois de plus les capacités d’empathie du président Saïed, tout comme son aptitude à choisir ses collaborateurs.

 

Seif Soudani