BCE : le discours de trop ?

 BCE : le discours de trop ?


L’article 76 de la nouvelle Constitution tunisienne stipule que le président de la République ne peut cumuler sa fonction avec aucune autre responsabilité partisane. Un article qui fut allègrement bafoué hier soir : dans une adresse au peuple tunisien sous couvre-feu depuis une semaine, Béji Caïd Essebsi a consacré dimanche plus des deux tiers de son speech aux querelles internes de Nidaa Tounes, parti qu’il n’est censé présider qu’à titre honorifique. Nous ne sommes plus dans la digression mais dans le retour éhonté du parti-Etat.




 


Le jour de ses 89 ans, « BCE » s’offrait ainsi une vingtaine de minutes de télé du secteur public pour un speech enregistré qui avait dès son annonce attisé la curiosité des Tunisiens. Sur le plan de la forme, la mise en scène (alternance de gros plans sur les mains, trône de monarque, filtre vidéo, etc.) laisse à penser que l’intervention a été soigneusement préparée, le tout après le limogeage polémique du PDG de la TV nationale.


« Mes filles, mes fils »… C’est la première fois que le président emploie cette formule ouvertement paternaliste en début de discours, signe qu’il est à la recherche d’une certaine légitimité. Mais la formule passe mal auprès de larges franges de la population que ce ton de « père de la nation » agace.


L’allocution commençait pourtant par ces termes : « Je considère qu’il est de mon devoir de m’adresser à vous. Je vais me focaliser essentiellement sur la question du terrorisme ». Mais le président va se contredire d’une manière qui n’est pas passée inaperçue : après trois petites minutes de généralités autour de la paix civile, la nécessité de l’union nationale, etc. on comprend où l’orateur emprunté veut en venir. A la surprise générale, le reste des propos, ponctués de citations abondantes du Coran et de références habituelles à Bourguiba, sera consacré à son parti politique d’origine…


 


Faites ce que je dis, pas ce que je fais…


« Le seconde question que je voudrais aborder n’est pas moins importante que la première, il s’agit de Nidaa Tounes. Poursuit-il. A l’issue des dernières élections, j’ai été contraint de quitter ce parti par respect pour la Constitution. Depuis je n’étais plus intervenu dans les affaires du parti. Mais il semble qu’une crise y a éclaté, une crise de leadership. L’actuel leadership n’est pas enclin au dialogue […], et il manque de sens du patriotisme en ces temps de crise nationale ». L’allusion à l’actuel secrétaire général Mohsen Marzouk ne fait aucun doute.


Dès lors on comprend que le président de la République prend le parti de son fils, rival de Marzouk, d’autant qu’il va plaider la solution du congrès non électif, formule prônée par Hafedh Caïd Essebsi, au prétexte qu’aucun des dirigeants actuels du parti n’a été élu.


Essebsi passe directement à « sa vision » de sortie de crise : sur un petit papier, il a marqué les noms de « treize militants, des personnalités respectées » qu’il va égrener, membres qu’il a lui-même désignés pour prendre part à un comité provisoire chargé de présider aux modalités du fameux congrès.


Pourquoi treize ? Sur quelle base ont-ils été nommés si leur désignation n’est pas collégiale ? Nous n’en saurons pas davantage. Certains noms sont par ailleurs problématiques, à l’image de l’homme d’affaires Ridha Charfeddine ainsi que Aziz Hatira, considérée donc comme « militante » par le président, promue au rang de « sage ».


Sous Ben Ali, cette figure controversée fut directrice rattachée à la direction générale de l’Agence nationale pour la maîtrise de l’Energie (ANME), députée de l’ex parti unique RCD, et présidente de l’Union nationale de la femme tunisienne (UNFT) de 2004 à 2012.


Autoritaire, Essebsi termine en suggérant que ceux qui ne seront pas d’accord avec son arbitrage sont priés de quitter le parti.


 


Au chapitre des réactions…


Le discours n’était pas terminé que les réactions n’ont pas tardé à fuser. Citons celles du juge Ahmed Rahmouni, qui fustige « l’étrange et étonnante confusion des genres entre l’Etat et le parti », celle du juriste Jaouhar Ben Mbarek qui dénonce « une histoire à dormir debout qui n’intéresse en rien le peuple », celle du dirigeant du CPR Tarek Kahlaoui qui affirme : « Nous vous avions prévenu, cet homme appartient à une autre époque où le parti se confondait avec l’Etat ». Ou encore celle de l’élu leader du Front Populaire Jilani Hammami qui se dit « outré par ce sommet du mépris du peuple et de la Constitution ».


Le Mouvement du Peuple a quant à lui appelé l’ensemble des forces politiques à convoquer le président en vue d’une audition par l’Assemblée des représentants.


Mais la réaction la plus lourde de conséquences est probablement celle de Mohsen Marzouk, concerné au premier chef. Le secrétaire général du parti a estimé dans un statut posté lundi que « l’heure est venue de prendre des mesures douloureuses » et que « l’immondice a dépassé toutes les limites »… concluant qu’il serait « prêt à revoir son positionnement » au sein du parti. Une menace claire de démission.


Sénilité ? Faute politique ? Entourage de cour ? Un président dissertant sur les détails des clivages et des camps d’un parti politique sur une TV du secteur publique, voilà qui ne sera quoi qu’il en soit pas sans conséquences sur une personnalité de plus en plus contestée.


 


Seif Soudani




 

Seif Soudani