Le gouvernement Fakhfakh prend place, mais pour combien de temps ?

 Le gouvernement Fakhfakh prend place, mais pour combien de temps ?

Elyes Fakhfakh et Youssef Chahed à la Kasbah


Après près de quatre mois d’intrigue politico-constitutionnelle, la Tunisie se dote enfin d’un gouvernement. Pour autant, ce nouvel exécutif reflète-t-il le sens et l’esprit du vote des Tunisiens aux législatives d’octobre 2019 ? Rien n’est moins sûr.


Le gouvernement Fakhfakh a donc obtenu de justesse la confiance du Parlement, avec 129 voix sur les 217 que compte l’hémicycle, soit le gouvernement le moins bien élu depuis la révolution de la dignité. A titre de comparaison, son prédécesseur, le gouvernement Chahed, avait obtenu en 2016 un plébiscite de 167 voix, autrement plus confortable.


 


Mandat menacé par une épée de Damoclès


129 voix, cela veut dire tout juste 20 voix de plus que les 109 de la majorité requise, et par conséquent cela signifie que le gouvernement ne tiendra qu'à un fil : celui de la bonne volonté de d'un seul de ses blocs coalisés, par exemple celle du Courant démocrate (Attayar), qui avec un éventuel retrait de sa vingtaine de députés peut théoriquement faire basculer le gouvernement à tout moment sous la barre des 109 sièges nécessaires pour gouverner. L’exemple est pris sciemment étant donnée la réputation d’intraitables va-t-en-guerre anti corruption de ce parti qui compte trois ministres dans le nouveau gouvernement, à la Réforme administrative, aux Domaines de l’Etat et à l’Education nationale.  


Or, le gouvernement Fakhfakh est celui par excellence des arrangements en tous genres requis par sa difficile genèse. Avec une confiance obtenue a minima, il est d'autant plus fragile qu'il sera à la merci des caprices de ses composantes parlementaires.


La rançon d'une formation avec autant de partis coalisés (6 composantes si on compte la participation officieuse d’Ettakatol) c'est aussi le manque d'identité commune et donc au mieux l'impossibilité d'avoir une équipe soudée, au pire des départements de l'Etat qui travailleront dans un climat de grande méfiance mutuelle, avec potentiellement un remake de la guerre Ennahdha – CPR au sein de la troïka en 2012. Un bras de fer qui avait jadis résulté en la démission précoce de Mohamed Abbou jugeant qu’il n’avait pas les coudées suffisamment franches pour accomplir sa mission, la même qu’en 2020, et que d’aucuns jugent utopiste : l’assainissement de l’administration.   


 


« More of the same » ?


« On vous remet ça ! », pouvait-on lire sur les réseaux sociaux commentant la passation du pouvoir entre Elyes Fakhfakh et Youssef Chahed. Si certains saluent le fait que les institutions et la transition démocratique fonctionnent en Tunisie, d’autres pointent la ressemblance « jusque dans leur apparence physique » des deux hommes.


D’autres encore affirment ne pas comprendre le parrainage initial de Fakhfakh par Tahya Tounes, seul parti ayant pesé de tout son poids dans la désignation du nouveau chef de gouvernement, un homme que pourtant rien ne lie à cette formation issue de Nidaa Tounes.


Mais à y regarder de plus près, le rapprochement entre les deux quadragénaires, respectivement issus des classes bourgeoises tunisoises et sfaxiennes, est en réalité moins surprenant qu’il n’y parait.


Ainsi le plus fréquentable des produits de l’ancien régime s’est allié au plus « soft » des produits de la révolution de 2011. Le premier a fait de son mandat une croisade contre la corruption, réformant sa famille politique (Nidaa) de l’intérieur, le second est issu de la social-démocratie BCBG, progressiste, mais islamo-compatible et « révolution-friendly ». Rien d’étonnant donc à ce que les deux hommes aient vu en cette alliance un bénéfice mutuel assurant surtout à Chahed une sortie du pouvoir à moindres risque d’ostracisme post mandat.


Reste que le profil de Fakhfakh, économiquement libéral et sociétalement moderniste, tranche avec la philosophie du vote éminemment populiste et conservateur ayant porté un Kais Saïed au pouvoir. Si ce dernier fut contraint de choisir en Fakhfakh « le moins pire », un homme issu d’une ligne malgré tout révolutionnaire, les premières divergences pourraient rapidement apparaître entre les deux hommes. La promesse de fidélité de Fakhfakh à Saïed n’est en effet pas sans rappeler celle tout aussi vibrante de Chahed à Caïd Essebsi. Deux hommes qui ont fini par s’entretuer.        

Seif Soudani