Les tractations pour le départ de Chahed en passe d’aboutir

 Les tractations pour le départ de Chahed en passe d’aboutir

Béji Caïd Essebsi


Hasard ou non du calendrier, c’est au moment où le chef du gouvernement Youssef Chahed se trouve à l’étranger, en Chine, que les négociations s’accélèrent en vue de son remplacement. Décryptage.



A Pékin, Youssef Chahed a croisé son homologue algérien Ahmed Ouyahia


 


Selon plusieurs insiders des arcanes du pouvoir en Tunisie, le remplacement de l’équipe gouvernementale n’a jamais été aussi proche. Selon une source à Nidaa Tounes, Youssef Chahed préparerait en effet sa sortie, via une démission vers la mi-octobre. Pendant ce temps-là, Ennahdha et Nidaa examineraient d’ores et déjà les noms des candidats aux futurs postes ministériels d’un nouveau gouvernement. Une équipe vraisemblablement à coloration technocratique, qui aurait pour tâche de conduire avec davantage de stabilité le pays aux échéances électorales de fin 2019.


En Chine, où le jeune chef du gouvernement voudrait se donner une stature de présidentiable négociant avec les grands de ce monde des contrats commerciaux, Chahed semble serein et souriant, même s’il n’est sans doute pas dupe de ce qui l’attend à son retour.


 


Volte-face d’Ennahdha


« La Tunisie a encore besoin de consensus »… C’est l’euphémisme par lequel Rached Ghannouchi annonce avoir tranché en réalité sur le sort de Chahed, en sortant du Palais de Carthage à l’issue d’un tête-à-tête avec le président de la République Béji Caid Essebsi, le premier depuis plusieurs mois que les deux hommes étaient en froid précisément en raison de cette question.


« Nous sommes aujourd’hui face à une opportunité de relancer le consensus qui se trouve être à l’origine de la réussite du modèle tunisien », explique Ghannouchi non sans une certaine langue de bois, ce qui signifie en réalité qu’il accorde à reculons cette ultime faveur à son allié au sein de ce qu’il convient de qualifier de cohabitation, plutôt que de coalition.


Ghannouchi concluait en affirmant que « les perspectives de croissance et de réussite en Tunisie sont grandes », une façon là aussi entre les lignes de justifier son geste par le gâchis, sur le plan économique, que représenterait le maintien sine die du gouvernement Chahed, un gouvernement aujourd’hui quasi paralysé par la crise politique qui dure depuis mai 2018.  Béji Caïd Essebsi avait alors décidé la suspension du Pacte de Carthage deuxième du nom, en raison d’un différend concernant le 64ème et dernier point de cet accord relatif au remaniement ministériel profond incluant le sommet de la pyramide à la Kasbah.  


 


L’UGTT agite la menace de la grève générale


Ardent partisan, plus ancien celui-ci, du départ de Chahed, l’UGTT maintien pour autant la pression, et son numéro 1 Noureddine Taboubi multiplie ces dernières 24 heures les déclarations incendiaires, allant jusqu’à qualifier l’équipe Chahed de « mafia en quête de légitimité à l’étranger, depuis lequel elle vend des illusions au peuple », allusion à la visite d’Etat en cours en Chine.


« Il y a de fortes probabilités que l’Union Générale Tunisienne du Travail décrète une grève générale dans le secteur public », a-t-il en outre déclaré hier mardi. La commission administrative se réunira le 13 septembre courant afin de prendre une décision, a-t-il ajouté. Il s’agirait de la deuxième grève générale depuis la révolution, si elle venait à entrer en vigueur. En tout état de cause, la grève des agents de la CTN avait déjà donné le ton, dès dimanche dernier, du jusqu’au-boutisme des intentions de la centrale syndicale.


« Nous soutenons le chef du gouvernement dans sa lutte contre la corruption à condition qu’elle ne soit pas sélective », a surenchéri Taboubi depuis Hammamet où se tiennent les travaux d’une conférence nationale de l’UGTT.


« L’UGTT a confiance dans la justice tunisienne qui ne tardera pas à révéler la vérité », a-t-il enfin conclu, à propos des limogeages opérés par le chef du gouvernement, dans le secteur de l’énergie et des mines, sur fond de soupçons de corruption. Un épisode qui a mis en lumière la proximité du ministre limogé de l’Energie et des mines, Khaled Gaddour, avec la centrale syndicale, lui qui est issu d’une famille de syndicalistes de l’UGTT.


 


NIdaa Tounes enfonce le clou


Signe que l’étau se resserre plus que jamais autour de Chahed, le directeur exécutif de Nidaa Tounes, Hafedh Caïd Essebsi, persiste et signe à son tour : le fils du président de la République a réitéré mardi son attachement au départ de Chahed « un souhait justifié par le bilan aussi dangereux que calamiteux de ce gouvernement ». « Le Document de Carthage est la seule issue réaliste à la crise que traverse le pays », a-t-il martelé.


« Il importe peu à Nidaa Tounes de savoir si l’actuel chef du gouvernement compte se présenter ou pas aux élections de 2019 », précise Hafedh Caïd Essebsi, se démarquant d’Ennahdha qui avait émis cette condition de non candidature à la présidentielle -ignorée Youssef par Chahed-, si ce dernier voulait continuer à bénéficier du soutien du parti islamiste.


Recordman du nombre de limogeages et de démissions de ministres (sept ministres au total, et des départs souvent agrémentés de la suppression pur et simple de leurs ministères respectifs), le gouvernement Chahed est d’abord victime de sa propre propension à s’auto décimer, qui a progressivement usé sa légitimité.


S’il a pu se maintenir pendant plus de deux années au pouvoir, un autre record à son actif, celui de la longévité pour un gouvernement post révolution, son sort devrait être connu d’ici la rentrée parlementaire d’octobre 2018, soit par la grande porte de la démission, soit par la petite porte, moins probable cela dit, du Palais du Bardo.


 


Seif Soudani

Seif Soudani