Opinion. Anouar Bayoudh à l’hôpital militaire, y a-t-il lieu de polémiquer ?

 Opinion. Anouar Bayoudh à l’hôpital militaire, y a-t-il lieu de polémiquer ?


Victime d’une crise de démence à l’annonce du décès de son père dans l’attentat de l’aéroport d’Istanbul, Anouar Bayoudh a été transporté d’urgence dimanche vers l’unité de soins psychiatriques intensifs de l’hôpital militaire de Tunis. Tollé chez une partie de l’opinion publique : certains dénoncent un traitement de faveur du fils du haut officier, d’autres s’indignent de la « présence d’un daéchien » dans cette institution sanitaire militaire.




 


Une source policière nous a appris plus de détails sur la crise d’hystérie du jeune homme. « Il a déchiré ses vêtements, et commencé à crier « Fathi Bayoudh va venir ! Fathi Bayoudh va venir ! Il était incontrôlable… » affirme le policier présent à l’interrogatoire.


C’est à la mosquée al-Salam que Anouar se serait radicalisé, une mosquée du quartier plutôt huppé de la Citée Ennasr, une mosquée étonnamment radicale, perquisitionnée fin 2013 par la Brigade antiterroriste. Nous savons par ailleurs que la famille Bayoudh était conservatrice et très pieuse.


Nous apprenons aujourd’hui qu’Anouar s’était rendu d’abord en Suisse en novembre 2015 pour un stage de micro gestion selon sa mère, pour partir en Turquie 1 mois et demi plus tard avec sa fiancée Farah, puis en Irak. Là il aurait eu des contacts avec l’Armée Syrienne Libre à laquelle il a brièvement appartenu, pour ensuite parvenir à Raqqa, bastion de l’Etat Islamique, mais dans lequel il n’a passé que 17 jours au total.


Certains commentaires à propos du retour du fils Bayoudh et son transfert à l'hôpital militaire révèlent cependant plusieurs aspects sur l'inconscient collectif haineux d'une partie de la toile et sur les mécanismes de la vindicte populaire, du moins du lynchage virtuel.


Beaucoup sont scandalisés par le fait qu'il soit soigné dans un hôpital militaire pour son breakdown nerveux. D’autres voient en l'occurrence, à juste titre, une certaine grandeur d'âme de l'institution militaire qui se conforme ici d'une façon exemplaire aux principes des droits de l'Homme, le monde à l'envers !


Du reste ce ne serait pas la première fois qu’un individu considéré comme « ennemi combattant », une interprétation sévère en l’occurrence, serait soigné dans une institution militaire, conformément aux traditions de la guerre et aux standards internationaux en la matière.


Pour rappel, les familles des militaires, mêmes décédés, ont droit à l'hôpital militaire, et le martyr colonel-major Bayoudh aurait certainement voulu que son fils pour lequel il a tout risqué, soit traité ainsi. Mais certains esprits zélés sont plus royalistes que le roi. Pour eux, le remords et le fait de porter à vie la culpabilité de la mort de son père n'est pas un châtiment suffisant.


Beaucoup demandent la guillotine (donc l'égorgement, même procédé que Daech) ou la pendaison. Pour verser dans le mythe "jihad al nikah", la plupart des internautes et des journalistes ne reconnaissent pas le mariage d’Anouar et Farah et parlent de « copine » ou de « compagne ».


D'autres versent dans la théorie du complot, toujours à la recherche de l'ennemi intérieur, et se demandent si l'armée ou la police des frontières ne sont pas infiltrées, pour n'avoir rien vu venir.


Le « daechisme », qui part parfois d’un excès d’enthousiasme ou encore d’un mal-être, est-il une révélation qui tombe du ciel et vous rend du jour au lendemain un monstre sanguinaire méritant la crucifixion sur la place publique ?


En Tunisie, nous gagnerions à consulter entre autres travaux de recherche les écrits d'Olivier Roy expliquant notamment en quoi le djihadisme est aussi "une révolte générationnelle et nihiliste". Ils sont particulièrement utiles là où la misère et le milieu social ne sont pas pertinents pour tout expliquer. Il ne s'agit pas de romancer ni de justifier le djihadisme mais d'en comprendre les motivations sociologiques profondes.


 


S.S




 

Seif Soudani