Tunisie. Rapatriement des biens mal acquis : l’aveu d’impuissance de Carthage

 Tunisie. Rapatriement des biens mal acquis : l’aveu d’impuissance de Carthage

En recevant le 28 août 2023 au Palais de Carthage son ministre des Domaines de l’Etat accompagné du chargé du Contentieux de l’État, le président de la République Kais Saïed s’est comme à son habitude livré à une tirade de type monologue, en l’occurrence au sujet de la restitution des biens spoliés du peuple tunisien. Fait nouveau toutefois, le communiqué aux accents poétiques de la présidence de la République trahit un sentiment d’impuissance dans ce dossier, au terme de quatre années de mandat.

On peut lire dans ledit communiqué que « le président de la République a appelé à accélérer le dépôt des demandes de prolongation du délai de gel des fonds pillés à l’étranger, soulignant que la date limite pour le dépôt de ces demandes est la fin de ce mois et que tout retard pourrait bénéficier à ceux qui ont pillé l’argent du peuple tunisien pendant des décennies ». En somme, il s’agit de prendre à témoin l’opinion et de se dédouaner du fait que les demandes de report étaient censées être déposées depuis un certain temps, et non deux jours avant l’expiration des délais fixés les instances européennes.

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Fidèle à son agenda politique, le chef de l’Etat a par ailleurs appelé à engager de nouvelles poursuites « contre tous ceux qui se sont accaparés des ressources du peuple tunisien après le 14 janvier 2011 ». En clair, il s’agit d’adjoindre la décennie post révolutionnaire au demi-siècle d’ancien régime, la « vraie » révolution ayant selon ce postulat commencé avec l’ère puritaine d’après 25 juillet 2021.

Plus loin, Kais Saïed s’agace qu’« outre les longues procédures et les conditions non innocentes posées par les pays et les banques dans lesquels se trouvent les fonds spoliés, certains d’entre eux rejettent les verdicts prononcés par contumace contre les accusés, alors qu’ils savent pertinemment que ceux-ci sont en fuite à l’étranger ».

Le même texte poursuit : « l’expérience a également montré que les décisions de justice rendues dans certains pays ne sont appliquées qu’après de longues décennies et que ceux dont l’argent a été pillé ne récupèrent que les miettes restantes. Les exemples de ces pratiques sont nombreux et contredisent les principes les plus élémentaires des droits de l’homme et des peuples ».

Amer, le président Saïed conclut que « si le peuple tunisien avait récupéré cet argent qui lui revient de droit et qui se compte en milliers de milliards provenant de comptes bancaires et de biens immobiliers, il n’aurait pas vécu la crise financière en cours. L’argent du peuple est en leur possession, et ils veulent nous prêter selon leurs conditions », fustige-t-il, avant d’appeler de ses vœux à « unifier les positions des pays concernés s’agissant de la saisie des richesses de leurs peuples ».

 

Une communication institutionnelle défaillante

« A l’Institut de la presse et des sciences de l’information, on nous a appris qu’un communiqué d’une institution de l’exécutif se doit d’inclure une information claire accompagnée de mesures précises que prend le pouvoir pour résoudre ou sortir d’une crise donnée », commente aujourd’hui le journaliste Elyes Gharbi, incrédule. Or, qu’apporte aujourd’hui un tel communiqué, qui à l’image de nombreux communiqués du Palais de Carthage se complaisent dans la lamentation, voire dans le registre indigné des ONG de sensibilisation, qui se contentent de constater et de pointer du doigt ce qui échappe à leur champ d’action ? Si Saïed était conscient de la difficulté de cette tâche, pourquoi a-t-il continué tout au long de ces années à miroiter aux Tunisiens l’espoir d’un succès ?

Ce discours victimaire aux accents altermondialistes et romantiques et aussi commenté par l’opposant Hichem Ajbouni, pour qui « au bout de quatre années de pouvoir, dont plus de la moitié de règne sans partage, le président de la République s’entête à rejeter toute responsabilité sur autrui », agissant tel un président opposant, « dont le mandat est régulièrement l’objet de complots (ici le délais de dépôt quasi expiré) de personnes qu’il a lui-même nommés », complots sans lesquels la prospérité serait assurée.

En attendant l’arlésienne de l’hypothétique rapatriement de ce qui reste de fonds spoliés à l’étranger, gouverner par la force des slogans ne fera sans doute pas avancer le schmilblick.

Seif Soudani