Turquie : Calvaire et système D pour les marocains bloqués

 Turquie : Calvaire et système D pour les marocains bloqués

Istanbul (DR)

Ils sont plusieurs centaines à avoir été surpris par la nouvelle. Le 23 février dernier, les autorités marocaines décident de fermer ses frontières avec plusieurs pays dont la Turquie. Finalement, ce sera 26 pays qui connaitront le même sort. Les bloqués, surpris par une décision aussi rapide qu’inattendue, se retrouvent pour certains dans une situation déplorable. De son côté, Amine* a réussi à passer entre les mailles du filet. Il est rentré au Maroc après un périple qui lui aura coûté 3000 euros.

Depuis l’apparition du variant anglais, sud-africain et brésilien, les pays s’inquiètent de plus en plus de la propagation du Covid-19. Pour faire face à ce phénomène, le Maroc a choisi une stratégie particulièrement ferme. Depuis le 19 janvier dernier, les vols en provenance et à destination de plusieurs pays sont interdits. Toutes les semaines, la liste s’allonge laissant sur le carreau plusieurs milliers de Marocains. C’est le cas de l’homme d’affaires Amine*. Habitué à se rendre 6 fois dans l’année en Turquie pour l’achat de marchandises, il prend l’avion pour un voyage d’affaires, quelques jours avant la fermeture des frontières. Bloqué à Istanbul, il revient pour nous sur son périple jusqu’au Maroc et sur les conditions des Marocains restés en Turquie.

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Au consulat, un chaouch pour interlocuteur

Amine* nous l’assure. Les Marocains et Marocaines qui étaient dans la même situation que lui, n’étaient pas en vacances. Il s’agissait de missions de travail, de voyages d’affaires ou d’opérations chirurgicales. Le départ d’ailleurs vers la Turquie ne se fait pas sans certaines mesures. « Avec le coronavirus, nous avons dû nous orienter vers ce pays pour nos approvisionnements, nous indique A. Pour pouvoir quitter le royaume, nous avons bénéficié d’une autorisation du ministère de l’intérieur pour « motif impérieux de travail ». Ensuite, nous avons pu nous rendre à Istanbul. Quelques jours plus tard, on apprend à 21h00 que les frontières sont fermées avec le Royaume le soir même. »

Stupeur ! Après confirmation par les autorités turques au Maroc, il se rend compte que la fermeture est bien réelle. Il pense alors à sa femme, son enfant, son entreprise et à l’incertitude autour d’une date de retour. « Après ce qu’on a déjà vécu par le passé, je me demandais si cela allait durer 15 jours, un mois ou plus. J’ai des membres de ma famille malades qui sont restées bloquées à l’étranger 4 mois l’année dernière. »

Il prend alors attache avec le consulat du Maroc en Turquie. Il y retrouve une quinzaine de personnes dans la même situation que lui. « On n’a trouvé personne pour nous parler. Les portes du consulat sont demeurées closes. Avec tout le respect que je lui dois, seul le chaouch du consulat nous a adressé la parole. Aucun responsable n’a pris le temps de venir s’adresser à nous face à ce problème fondamental. » Selon lui, on pourrait parler de 200 à 300 marocains bloqués en Turquie. Il cite en contre-exemple ce qu’on fait les autorités turques pour leurs compatriotes et le vol mis en place pour rapatrier une seule citoyenne depuis l’Ukraine.

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Un périple de 12 000 kilomètres pour rentrer au Royaume

Grâce à ses contacts et un visa pour les Emirats Arabes Unis, il sait qu’il peut aller à Dubaï. Avant de choisir cette ville du Proche-Orient, il a regardé les autres solutions. « Il faut comprendre que les autorités marocaines ont contacté toutes les compagnies aériennes du monde qui pourraient prendre des Marocains depuis la Turquie. Cela concerne aussi les pays où vous passez en transit pour aller au Maroc. Peu importe la période que vous passez dans un pays, cela reste interdit. Toutes les portes étaient fermées. »

Amine* nous rapporte ainsi que plusieurs femmes ont tenté de passer par la Tunisie. Après des tests PCR et des hôtels pris pour respecter le délai de quarantaine d’une semaine, elles se sont vues refuser à l’embarquement depuis Istanbul. Il en va de même pour ceux qui passent par d’autres villes. « J’ai été obligé de prendre un aller-retour Istanbul-Dubaï et d’y rester 3 jours dans un hôtel. J’ai eu la chance d’avoir des contacts qui m’ont facilité la vie sur place. »

Il change alors de compagnie aérienne et se rend de Dubaï à Doha puis enfin un vol de la capitale qatarie vers le Maroc. Soit un voyage de 12 000 kilomètres et des frais supplémentaires approchent les 3000 euros !

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Inquiétude pour le business et les marocains sur place

La situation risque de se compliquer pour Amine* dans l’avenir. Sans la Chine et maintenant la Turquie, il se retrouve sans possibilités de s’approvisionner. « Je vais minimiser mes achats. Dans mon domaine, la présence physique est essentielle. Nous devons toucher le produit, voir la matière et la qualité. Mon volume d’affaires va baisser drastiquement. Je ne peux pas trouver des partenaires à distance. Il ne nous reste plus qu’à espérer que cela s’arrange. »

Au delà de sa propre situation, celui qui s’estime privilégié, souhaite que l’on parle de ces Marocains et Marocaines qui sont à la rue de l’autre coté de la Méditerranée. « Une marocaine de 62 ans dort dans la rue après ce qu’il s’est passé. Plusieurs personnes âgées n’ont pas de quoi subvenir à leurs besoins primaires comme l’alimentation. La situation est catastrophique pour eux. Quand je dis qu’ils n’ont pas de quoi manger, ce n’est pas une image. C’est la réalité ! »

Les autorités marocaines ont indiqué vouloir prolonger la fermeture des frontières vers la Turquie jusqu’au 12 avril, soit dans un mois. S’il dit comprendre parfaitement les mesures sanitaires appliquées, il aimerait que le Royaume prenne en compte la situation des Marocains sur place. « On ne peut pas laisser mourir nos concitoyens. Nous étions même prêts à payer l’ensemble des billets pour un vol nous rapatriant depuis la Turquie et même à vivre en quarantaine. On a cherché toutes les solutions possibles. On peut pas permettre de laisser 200 familles dans la détresse. »

*Le prénom a été modifié par souci d’anonymat

 

Yassir Guelzim

Yassir GUELZIM

Journaliste Print et web au Courrier de l'Atlas depuis 2017. Réalisateur de documentaires pour France 5.