Un historien affirme qu’Israël avait planifié la destruction du quartier maghrébin de Jérusalem

 Un historien affirme qu’Israël avait planifié la destruction du quartier maghrébin de Jérusalem

L’ancien quartier maghrébin de Jérusalem se tenait à l’emplacement de l’acutelle esplanade du Mur des Lamentations

Dans un ouvrage arrivé en librairie en ce début d’année, l’historien français Vincent Lemire affirme que la « destruction », après la guerre des Six Jours en 1967, du quartier maghrébin de Jérusalem, établi depuis huit siècles devant le Mur des Lamentations, aurait été « planifiée » puis « dissimulée » par Israël.

L’historien français Vincent Lemire affirme dans son ouvrage qu’Israël avait « planifié » la « destruction » du quartier maghrébin de Jérusalem. L’épisode remonte à la fin de la guerre des Six Jours en 1967 qui a vu la victoire éclair de l’État hébreu sur ses voisins arabes. L’opération a rasé un quartier historique du Jérusalem vieux de huit siècles. Les autorités israéliennes auraient ensuite tenté de « dissimuler » cette initiative qui a détruit les maisons proches du Mur des Lamentations.

Directeur du Centre de recherche français à Jérusalem, M. Lemire anticipe des réactions « épidermiques » à la publication de son ouvrage. Son enquête « Au pied du mur : vie et mort du quartier maghrébin de Jérusalem (1187-1967) » touche en effet la question sensible des lieux saints à Jérusalem.

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Dans son livre publié aux éditions du Seuil, l’universitaire retrace l’histoire « oubliée » du quartier maghrébin de Jérusalem. Il se base sur les archives locales, ottomanes et françaises, sur lesquelles il a travaillé ces six dernières années. Une version anglaise doit voir paraître fin 2022 aux presses de l’Université de Stanford.

L’historien explique que la destruction de ce quartier, où le jeune Yasser Arafat a d’ailleurs vécu après la mort de sa mère, n’est pas due à l’initiative d’une quinzaine d’entrepreneurs israéliens au lendemain de la guerre des Six Jours, comme le suggère le récit officiel remis en doute ces dernières années, mais du gouvernement israélien de l’époque.

 

135 maisons sur l’emplacement de l’actuelle esplanade du Mur des Lamentations

Aujourd’hui, des millions de visiteurs et de fidèles se rendent chaque année au Mur des Lamentations, ou « Kotel HaMaaravi » en hébreu, via une vaste esplanade en pierres polies. Mais presque tous ignorent cette histoire.

Avant la guerre des Six Jours, qui a permis à l’État hébreu de s’emparer notamment de Jérusalem-Est, il n’y avait pas d’esplanade devant le Mur des Lamentations. À cet emplacement se trouvait un quartier musulman d’environ 135 maisons. Sa fondation remontait au XIIe siècle par Saladin. Il a ensuite été agrégé au Waqf Abou Mediene, institution religieuse créée pour loger, nourrir et soigner les pèlerins venus du Maghreb.

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« Comment peut-on imaginer que 15 entrepreneurs privés rasent un quartier historique sans autorisation au plus haut niveau de l’État ? Personne n’a jamais cru à cette histoire. Mais, mon livre apporte des preuves écrites définitives de la préméditation, de la planification et de la coordination de cette opération », raconte l’historien à l’AFP.

« Il y a des documents absolument incontestables », souligne-t-il. Citant par exemple le compte-rendu d’une réunion entre le maire de Jérusalem et le commandant de l’armée responsable de Jérusalem, le vendredi 9 juin 1967, « 36 heures avant la destruction ». Un des points à l’ordre du jour est la destruction du quartier maghrébin », souligne M. Lemire. Le même jour, « une note interne du ministère israélien des Affaires étrangères prépare des éléments de langage pour la destruction programmée du quartier ».

 

Le silence de la France

À partir de 1948, la France a financé le quartier et le Waqf Abou Mediene dans une logique de « soft-power ». Elle voulait ainsi tenter de « contrer la montée en puissance des mouvements indépendantistes en Algérie », souligne Vincent Lemire. Mais, après l’indépendance de l’Algérie en 1962, la France « abandonne » le quartier maghrébin. Paris reste également muer au moment de sa destruction en 1967. Tout comme les nouveaux États indépendants du Maghreb, qui refusent de prendre à leur charge cet « héritage colonial ».

Il précise que les archives municipales font état de compensations. Celles-ci « minimes mais rapides » ont été accordées aux déplacés – installés dans les environs de Jérusalem – « pour obtenir leur silence après la destruction ». « C’est une histoire désagréable pour tout le monde », Israéliens, Jordaniens, Français et États du Maghreb, note l’historien.

Rached Cherif