Le mauvais goût n’est pas que dans le Nutella

 Le mauvais goût n’est pas que dans le Nutella

crédit photo : F. Ferville pour Le Courrier de l’Atlas


L’écrivain Mabrouck Rachedi croque l’actualité. Ce mois-ci, l’auteur de “Tous les hommes sont des causes perdues” s’interroge sur le voyeurisme par l’image dans les médias et sur les réseaux sociaux.


Une promotion sur du Nutella à Intermarché, et voilà bousculades et émeutes partagées sur les réseaux sociaux. Les anecdotes se multiplient : ici la police a dû intervenir, là une personne a jeté un pot sur une autre, là encore des personnes en ont entassé une quinzaine dans leur chariot… La moquerie, l’effarement, la tristesse, les condamnations morales, les justifications sociales sont tour à tour convoqués pour commenter ce qui devient un événement à la une des médias.


Des squatteurs sont délogés par un groupe de jeunes à Garges-lès-Gonesse (Val-d’Oise). L’action est filmée et diffusée par son instigateur, qui se substitue à la police et à la justice. Il est présenté par certains comme un héros pour avoir aidé un homme âgé à récupérer son bien. La mise en scène de sa personne est d’aussi mauvais goût que ses commentaires durant l’opération.


 


Un justicier dans la ville


Ces dernières semaines, des images de ce type ont circulé à profusion sur les réseaux sociaux. Un flot brut, balancé le plus souvent avec des éléments de contexte incomplets et orientés. Des contenus jugés à l’emporte-pièce par des milliers de procureurs devant leur écran. Ce qu’ils présentent comme des analyses ne sont en fait que des ­projections : de leurs préjugés, de leurs peurs, de leurs idéologies. L’argument massue pour convaincre les foules est ­celui des démagogues : et si c’était vous ? Et si c’était un membre de votre famille ? Tout comme l’image, cet appel à l’identifi­cation mobilise la partie émotionnelle du cerveau.


Pourtant, il est d’autres questions que l’on pourrait se poser : qui filme ? Qui diffuse ? Dans quel but ? Pour reprendre les exemples cités, on peut s’interroger sur la volonté de pouvoir d’un Charles Bronson qui joue au justicier dans la ville et les­ ­représentations de ceux qui le voient comme un fier représentant des banlieues, sur la condescendance de ceux qui filment une expression de la misère sociale et du grégarisme de la marque et de ceux qui, à l’abri du besoin, la qua­lifient de sauvagerie. Un esprit critique qui ne s’exerce qu’en aval de l’image reçue, sans s’interroger sur les conditions de son émission et de sa ­diffusion en amont est hémiplégique.


 


Le tribunal des irréprochables


L’esprit critique doit aussi s’exercer sur ceux qui commentent et condamnent, ces procureurs des réseaux sociaux qui se placent au-dessus du jugement. Ils s’acharnent en bande, sans pitié ni recul, sur des personnes auxquelles ils ne pardonnent rien. Le déferlement dont a été victime Mennel Ibtissem, candidate de The Voice, le télécrochet de TF1, pour d’anciens tweets, est symptomatique d’une époque : on cherche la petite bête en remuant le passé pour masquer son vrai dessein, en l’occurrence la chasse aux femmes voilées. La mansuétude se distribue à la tête du client, on tolère chez les uns le droit à l’erreur qu’on refuse aux autres. Qu’importe que la jeune femme ait présenté ses excuses, elle est condamnée par le tribunal des irréprochables et poussée à se retirer de l’émission, malgré une prestation qui a marqué les esprits.


Nous sommes poursuivis toute notre vie par des images, des mots susceptibles de nous figer pour l’éternité. L’erreur de jeunesse, la deuxième chance, ont été consacrées par le droit à l’oubli sur internet, décidé par la Cour de justice de l’Union européenne. Hélas, voyeurs et persifleurs ont pour instruments les images, les captures d’écran et pour amplifi­cateur les réseaux sociaux pour propager leur arme la plus puissante : la rumeur. 


MAGAZINE MARS 2018

Mabrouck Rachedi