A Fès, un cocon pour accueillir les malades

 A Fès, un cocon pour accueillir les malades

Photos Jabrane Lakhassi pour le Courrier de l’Atlas


DOSSIER DU COURRIER : Cancer, parlons-en sans tabou


Dans la capitale spirituelle du Royaume, les patients reçoivent leur traitement avec dignité au centre d’oncologie du CHU Hassan-II. Les plus démunis sont accueillis chaleureusement dans une Maison de vie. 


MAGAZINE NOVEMBRE 2017


Jellaba grise et fichu autour du cou, Zhor* sort éprouvée de sa séance de chimiothérapie. Elle revient se reposer dans sa chambre dans la Maison de vie du CHU Hassan-II de Fès, située à la sortie de la ville. Diagnostiqué en 2015, son cancer du sein a évolué et les métastases ont touché le foie. “Je viens de Tanger. Du coup, je reste ici. Tout est à disposition : lit, douche, repas et le ­personnel est attentionné”, glisse-t-elle la voix éteinte.


 


Plusieurs centres au Maroc


Créé en 2012 par la Fondation Lalla Salma, cet espace d’hébergement temporaire accueille les patients démunis et éloignés géographiquement de chez eux pendant leur traitement ambulatoire réalisé dans le centre d’oncologie voisin. Il en existe d’autres au Maroc : à Casablanca, Agadir, Marrakech et Meknès. Avec sa couleur sable et ses briques vertes, la Maison de vie de Fès est un havre de paix, contrastant avec la brutalité de la maladie : jardins taillés, zelliges bleus, fontaines d’eau… Chacune des 24 chambres comprend deux lits, une télévision et une salle de bains. Les pièces sont réparties autour de deux patios sur le rez-de-chaussée et le premier étage. On dit que la princesse Lalla Salma, très impliquée dans la lutte contre le cancer aurait ­veillé en personne au bon déroulement des travaux et au choix des matières. Salons spacieux, cuisine collective, buanderie, ateliers… tout est conçu pour le bien-être des patients.



Une prise en charge totale


Ces derniers sont accompagnés par des proches (mari, femme, parents). Malika, la cinquantaine, a un cancer de la joue : “Je viens de Taounate et je dois suivre 35 séances de radiothérapie. Ma fille m’accompagne pour m’aider et me soutenir. Je prie et je me repose ici.” Les malades sont hébergés le temps de leur traitement (jusqu’à deux mois). Avec une prise en charge totale. “Les nuitées sont au prix symbolique de 20 dirhams (2 euros), mais elles sont souvent payées par des bien­faiteurs. Les repas sont offerts par l’hôpital, explique ­Aïcha Jarir, directrice de l’établissement. C’est comme un second foyer pour les patients. Nous leur offrons le meilleur accueil possible, pour qu’ils s’y sentent bien et qu’ils n’abandonnent pas leur traitement.” Des femmes, des hommes, viennent ici, mais aussi des jeunes, à l’instar de Rachid, 16 ans. “J’ai une leucémie et je dois suivre dix séances de radiothérapie. Je garde espoir”, confie le jeune garçon.


Le personnel se lie d’amitié avec les pensionnaires, fatalement. “On partage tout avec eux. On vit avec eux, ils nous racontent leurs problèmes de santé, de couple, de famille… Lorsqu’ils repartent, nous leur téléphonons pour avoir des nouvelles. Quand on apprend qu’un(e) des patients(e)s est décédé(e), c’est un déchirement”, avoue Radia El Moutawakil, assistante de direction.


Une voiturette conduit les malades au centre d’oncologie du CHU tout proche. Dans l’aile consacrée à la chimiothérapie, un couloir mène à un hôpital de jour. Là, sur quelques lits, sont étendus des patients traités par voie intraveineuse ou en attente d’examens. Plus loin, des malades occupent les chambres d’hospitalisation. Une mère se lamente : “Nous avons découvert que mon fils de 23 ans a un cancer du poumon. Nous ne lui avons rien dit, mais il a deviné son mal. Il est complètement abattu.” A quelques mètres de là, une femme seule se tourne et se retourne dans son lit : “Mon cancer du col de l’utérus était très douloureux. Je n’arrivais pas à bouger. Maintenant, les choses vont mieux. J’arrive à me lever et marcher.”


Laïla Khassal, infirmière en chef du service oncologie souligne : “Nous soignons tous les types de cancers : poumon, foie, utérus… Tous les actes, du dépistage à la thérapie, sont mis en œuvre pour améliorer la qualité de vie du patient.” Dans l’aile réservée à la radiothérapie, la salle d’attente est bondée. On est là pour des examens, pour des résultats… “Nous soignons jusqu’à 110 patients par jour”, précise un médecin. Les salles d’hospitalisation sont toutes occupées. Une femme raconte le calvaire de son père, malade de la prostate. “Nous lui avons caché la maladie, en lui disant que tout irait mieux avec les soins. Mais il est inquiet quand on vient lui changer sa poche.”


C’est qu’au Royaume, les mentalités ont la peau dure. “Les Marocains considèrent le cancer comme une pathologie honteuse. On n’en parle pas. Parfois, des hommes dans les campagnes rejettent leurs femmes quand elles ont un cancer du sein ou qu’elles perdent leurs cheveux, jugeant qu’elles ne sont plus des femmes, déplore Aïcha Jarir. Heureusement, les choses changent. Le travail de sensibilisation et les efforts de la Fondation Lalla Salma portent leurs fruits.” Laïla Khassal partage cet avis. Elle est formelle : “Aujourd’hui, on peut guérir d’un cancer s’il est dépisté à temps.”



Des unités pour chaque pathologie


C’est le cas des enfants atteints de leucémies et traités dans une unité spécifique. Omar, 14 ans, est venu de Errachidia avec son père pour un simple contrôle. “Il est complètement guéri, se félicite son père. Il a été soigné de 2011 à 2014. Les médecins ont fait un travail formidable. Au début, c’était difficile, comme si le ciel nous tombait sur la tête. Depuis deux ans, il vient faire des contrôles. Il a aussi repris le chemin du collège.” A l’hôpital de jour, les enfants sont soignés en ambulatoire. Certains ont perdu leurs cheveux, d’autres se reposent dans des chambres stériles et ne sont plus immunisés.


Pour certains cancers, comme celui de la thyroïde, les patients se dirigent vers l’unité de médecine­ nucléaire. “On utilise des sources radioactives pour le diagnostic et le traitement des maladies”, relève Nadia ­Ismaïli Alaoui, chef du service. Outre les salles de traitement en zone chaude, deux pièces sont réservées aux patients soumis à de fortes radiations. Et ­depuis mars 2016, le CHU s’est doté d’un ultra­moderne Institut de recherche sur le cancer (IRC) – le seul du pays. Une sorte de hub, dont le rôle est de “faciliter et d’orienter les recherches sur le cancer”, explique son directeur Mohcine Zouak. Les études ne se font pas in situ. L’IRC dresse un état des lieux de la situation, crée un écosystème propice, propose un appel à ­projets annuel (sur le cancer du sein) et finance les projets retenus. Au CHU de Fès, où tous les efforts convergent pour la dignité et le confort du patient, l’espoir n’est pas un vain mot. 


*Les prénoms des malades ont été modifiés.


La suite du dossier : Cancer, parlons-en sans tabou


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Cancer : Parlons-en sans tabou


 


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Abdeslam Kadiri