A l’école, la parole après la terreur

 A l’école, la parole après la terreur

Crédit photo : Joël Saget/AFP


Comment parler de terrorisme aux élèves ? Une question à laquelle les enseignants ont dû faire face après les attentats qui ont secoué la France ces dernières années. Une enseignante rouennaise raconte comment elle a accueilli la parole de ses élèves, pas toujours apaisée. 


Soazig Kernoa, 37 ans, enseigne le français, le latin et le théâtre au collège Camille-Claudel de Rouen. Au lendemain de l’attentat de Charlie Hebdo, une pensée l’obsède : comment parler de ce drame qui la terrasse à des élèves de 11 ans ? “Nous avons annulé les cours de la journée qui a suivi le drame pour discuter de la façon d’évoquer cette tragédie en classe. Une chose nous importait particulièrement : que les enfants puissent s’exprimer”, se souvient-elle.


 


Changement de discours


Un dialogue qui n’a pas été de tout repos. L’enseignante ne s’attendait pas à devoir recadrer des élèves persuadés que les dessinateurs du journal “l’avaient quand même un peu cherché”. “Ces réactions m’ont traumatisée. Je ne pensais pas entendre ça de la bouche d’un enfant”, confie la jeune femme, attristée que les valeurs républicaines, si chères à son cœur, ne soient pas partagées par tous ses élèves. “Il n’y avait pas de haine ou de volonté de leur part de me blesser. Ils n’étaient simplement pas tristes.”


Chagrinée, mais certainement pas résignée, elle ajoute : “Je suis consciente que ces principes doivent mûrir avec le temps.” La preuve : moins d’un an après Charlie, l’horreur frappe de nouveau la capitale. Au lendemain de l’attaque contre le Bataclan, la professeure constate, soulagée, que ses élèves récalcitrants ont changé de discours : “Cette tuerie de masse les a tétanisés. Ils se demandaient, horrifiés, comment on pouvait commettre des actes aussi barbares envers des innocents.”


Avec le temps, Soazig Kernoa se rend compte de la grande souffrance que génèrent ces atrocités, en particulier chez les enfants musulmans. “Ils éprouvaient de la honte, alors qu’ils ne devaient pas en ressentir. Ils avaient aussi très peur de la stigmatisation, même si je pense que leurs camarades n’avaient pas l’intention de les ostraciser ou de les traiter de terroristes. Peut-être qu’ils avaient entendu des choses dans les médias, des appels malvenus à se justifier ou à se désolidariser.”


 


Nourrir la citoyenneté


De longues discussions se sont ainsi engagées pour lutter contre les amalgames et clarifier des notions nébuleuses pour certains élèves. “Car il y a aussi ceux qui pensaient que la laïcité, c’était l’interdiction des religions, se souvient Soazig Kernoa. Il a fallu leur expliquer qu’il s’agissait plutôt du respect de toutes les croyances et incroyances. Finalement, ces douloureux événements ont changé ma façon d’enseigner la laïcité.” Et fait grandir les élèves, nourrir leur citoyenneté : ils ont proposé de réaliser des affiches, des dessins… Les attentats ont également eu de surprenants effets sur les groupes d’élèves, désormais plus soudés. “Il y avait des tensions non résolues entre différentes communautés. Le fait de libérer la parole a permis de les aplanir. C’est horrible à dire, mais les crises, ça soude les individus.”


Pour sensibiliser ses élèves au vivre-ensemble, Soazig Kernoa a notamment invité l’avocate Danielle Mérian, qu’un passage sur BFMTV, au lendemain de l’attaque du Bataclan, a rendue célèbre. “Nous fraterniserons avec les 5 millions de musulmans […] et nous nous battrons contre les 10 000 barbares qui tuent soi-disant au nom d’Allah”, avait-elle déclaré. Depuis, des passages de son livre, Nous n’avons pas fini de nous aimer (Grasset, 2016), sont enseignés par tous les profs de français du lycée Camille-Claudel.


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MAGAZINE SEPTEMBRE 2017

Sana Guessous