Fatiha Gas, surdiplômée à la double peine

 Fatiha Gas, surdiplômée à la double peine

Crédit photo : ESIEA 2014


Bardée de diplômes, cette informaticienne avait tous les atouts pour faire la carrière internationale dont elle rêvait dans l’industrie. Elle a dû se “contenter” de l’enseignement supérieur, qui n’était pas son premier choix. 


Docteur en informatique, titulaire d’un master en ­administration des entreprises et d’un certificat d’ad­ministratrice indépendante de l’Essec, le CV de cette femme, native d’Alger, impressionne et aurait dû logiquement lui ouvrir les portes du monde de l’inno­vation qu’elle souhaitait intégrer. “Après mon doctorat, ­j’ai mis quatre ans à trouver un emploi stable. On ne me ­proposait que des vacations. J’ai fini par me résoudre à enseigner dans une école d’ingénieur”, explique cette ­ ­diplômée à la scolarité brillante et qui dirige l’Esiea Paris(1) depuis 2013.


“Votre profil nous plaît plus que votre concurrent mas­culin, mais nous préférons jouer la carte de la sécurité.” “Nous vous prenons à condition que vous vous engagiez par écrit à ne pas tomber enceinte durant les deux prochaines ­années.” “Notre client ne veut pas travailler avec une Arabe”, voilà un échantillon des horreurs et de la discrimination qu’elle a entendu et subi lors de ses entretiens d’embauche. “Aujour­d’hui, aucun employeur ne s’aventurerait à prononcer des phrases pareilles. Le contexte a changé”, ­estime celle qui utilise désormais le patronyme de son époux et qui était à deux doigts de franciser son prénom.


 


Femme… et Arabe


“Quand je suis arrivée sur le marché du travail, la conjoncture n’était pas des plus favorables. J’ai subi de plein fouet la double peine : j’étais une femme dans un secteur très masculin, celui de l’imagerie industrielle, et de plus j’étais algérienne”, résume celle qui a pourtant reçu en 2016 la médaille de Chevalier de l’Ordre national du Mérite.


Aujourd’hui, Fatiha Gas bataille pour que les femmes trouvent leur place dans le secteur du numérique. Elle milite dans nombre de structures, dont le Bureau de Femmes du Numérique, lequel veille à ouvrir et faciliter l’accès du secteur aux jeunes filles. “Elles y sont rares. Non pas qu’elles soient discriminées, mais parce que peu d’entre elles s’y imaginent faute de communication. Tout le monde connaît Mark Zuckerberg, mais qui a entendu ­parler de Sheryl Sandberg ? La numéro 2 du réseau social qui a fait de Facebook la success story qu’il est devenu. Elle n’est pas souvent mise en avant.”


 


“Pourquoi pas moi ?”


Et ce qui est valable pour les femmes vaut également pour les personnes issues de quartiers populaires. “Il faut lutter contre les discriminations par des actions au sein des entreprises et dans les quartiers, et ce afin de donner confiance aux jeunes et éviter qu’ils ne s’autocensurent.” C’est important que les grands médias donnent aussi à voir la réussite des personnes issues de la diversité. “Ce sont des modèles d’identification qui peuvent conduire des jeunes à se dire : pourquoi pas moi ?” Fatiha Gas est-elle malgré tout satisfaite de son parcours ? Etrangement non, elle se verrait bien ailleurs : “Au sein d’une fondation pour faire du lobbying pour une belle cause, comme l’égalité.” 


(1) Ecole supérieure d’informatique, électronique, automatique.


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MAGAZINE MARS 2018

Fadwa Miadi