Laura Nsafou : « Une petite fille noire peut être aussi universelle que le Petit Nicolas »

 Laura Nsafou : « Une petite fille noire peut être aussi universelle que le Petit Nicolas »

crédit photo : Franck Aubry


Militante engagée et blogueuse littéraire, l’auteure de “Comme un million de papillons noirs” (éd. Cambourakis), une ode à la tolérance qui met en avant la diversité dans les textes pour enfants. 


Pourquoi avoir écrit l’histoire d’Adé, une petite fille noire et aux cheveux crépus ?


J’en avais envie ! J’écris depuis 2013 sur la nécessité de valoriser les littératures afros, leurs nuances et leur diversité, et de produire des récits prenant en compte le vécu des afro-descendants nés en Europe, et l’expression de leurs identités. Du coup, le vécu d’une petite fille noire perçue comme différente et sujette aux moqueries dans un contexte occidental, c’est une histoire parmi d’autres qui suit cette direction. C’est aussi une contribution à une littérature jeunesse peu représentative de la société. Ce sont les éditions Bilibok qui m’ont proposé d’écrire cette histoire : ils avaient le titre, une citation de Toni Morrison, et ils m’ont laissé faire le reste. On partageait la même volonté de publier des livres diversifiés, tant par les personnages principaux que par la mise en avant de récits peu attendus.


 


Quels sont vos rapports avec les éditeurs autour de cette problématique ?


Ce rapport aux éditeurs s’est manifesté après la fermeture des éditions Bilibok (début 2018, ndlr). Nous cherchions une maison d’édition pour reprendre le livre, bien accueilli par le public alors qu’il n’était pas vendu en librairie. Aux yeux des éditeurs, c’était un produit “de niche”. Il y a cette idée préconçue selon laquelle ça ne peut intéresser que les personnes noires, comme si Adé ne pouvait pas être aussi universelle que le Petit Nicolas ! Il y a une réelle crispation dans cette industrie. Très peu d’éditeurs acceptent de se confronter au racisme. Depuis la réédition, les éditeurs que je rencontre connaissent mon travail ou mon discours. Cela permet d’avoir des échanges plus enrichissants quand on a face à soi quelqu’un qui “veut faire mieux”.


 


Cette histoire a-t-elle une portée universelle ?


C’est difficile de vraiment mesurer l’impact d’un livre, mais ce que j’ai constaté, c’est que l’histoire permet de toucher autant la négrophobie que le harcèlement scolaire, la famille, la représentation de soi. Les illustrations de Barbara Brun et le sujet suscitent un réel enthousiasme chez les éditeurs anglophones.


 


Est-ce que vous craignez d’être cataloguée comme “auteure de la diversité” ?


Je ne crains rien à ce sujet. Un jour, j’avais un rendez-vous avec une grande maison pour la reprise de Un million de papillons noirs. Avant même d’avoir ouvert la bouche, l’éditeur m’a dit : “Je ne publie pas une femme noire qui écrit pour des filles noires”. Je n’ai pas besoin de parler pour qu’on me catalogue : c’est à partir de qui je suis qu’on présuppose mes intentions. C’est le propre du racisme. Me cataloguer montre qu’on ne s’intéresse pas à ce que je fais. Du coup, le tri s’opère de lui-même : seules les personnes soucieuses de proposer une littérature réellement représentative me contactent. 


 


COMME UN MILLIER  DE PAPILLONS NOIRS de Laura Nsafou et Barbara Brun, éd. Cambourakis,  36 p., 14 €.

Yves Deloison