Youssef Badr, faites entrer le procureur

 Youssef Badr, faites entrer le procureur

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Issu d’une famille marocaine, ce magistrat de 37 ans, qui exerce aujourd’hui en temps que porte-parole du Ministère de la Justice, n’a que trois mots en tête tout au long de son parcours : le travail, le travail et encore le travail. Portrait d’un homme de loi, qui ne confond pas conviction et certitude.


Plus jeune, Youssef Badr voulait être avocat parce que “témoin de trop nombreuses injustices”. “A l’école déjà, c’était souvent les mêmes qui se voyaient proposer les filières techniques. Moi-même, je me suis demandé si j’étais apte à une filière générale malgré mes bonnes notes”, souligne ce procureur de la République passé après cinq années de droit par la très élitiste Ecole nationale de la magistrature, à Bordeaux.


Sur les 2 500 candidats, 130, dont lui, sont retenus en 2007. Un beau parcours pour Youssef Badr, né il y a trente-six ans à Levallois-Perret de parents marocains qui ne parlaient guère la langue de leur pays d’accueil. “Je voulais défendre ceux qui ne disposaient pas de tous les bagages et armes, mais je me suis rendu compte que je serai plus utile en me mettant au service de l’Etat et en faisant partie du processus de décision”, poursuit-il, ­attablé au Café des deux palais, en face du palais de justice de Paris, où il officie après avoir été affecté d’abord à Meaux puis à Bobigny en Seine-Saint-Denis.


 


“Le plus beau métier du monde”


Dans un documentaire tourné à l’époque de sa formation à Bordeaux (Permis de juger, de Sarah Lebas, 2009), Youssef Badr qualifiait le métier auquel il se préparait de “plus beau du monde”. Près de dix ans plus tard qu’en pense-t-il ? “Je persiste à le dire. J’ajouterais que c’est un métier difficile parce qu’on travaille dans des conditions ardues. Les gens pensent que nous sommes durs parce qu’ils nous voient fermes à l’audience, mais ­auparavant il y a les doutes, les milliards de questions qu’il est sain de se poser, les nœuds qu’on se fait au cerveau”, poursuit-il. La peur de commettre une erreur ? “ La justice est rendue par des hommes qui essayent de faire leur métier le plus sereinement possible. Il arrive qu’on requière des relaxes à l’audience. Il faut garder en tête un principe : le doute profite toujours à l’accusé.”


 


Surcharge de procédures


Justement, comment éviter les erreurs, source d’injustices ? “Une moindre charge de travail serait la bienvenue. La France est le pays d’Europe où les procureurs travaillent le plus”, souligne le trentenaire. Effectivement, un rapport du Conseil de l’Europe datant de 2016 indique que les procureurs français font face au plus grand nombre de procédures reçues, tout en remplissant un nombre record de fonctions différentes.


Mais Youssef Badr n’est pas du genre à se plaindre. Il s’estime même chanceux d’avoir le parcours qui est le sien. “Aujourd’hui, j’aimerais rendre ne serait-ce qu’un quart de ce que j’ai reçu, notamment en parrainant des jeunes issus de l’immigration. Ce qui me désole et me blesse le plus, c’est de voir des jeunes aux origines similaires aux miennes choisir d’autres chemins, alors que l’école est gratuite et l’instruction accessible à tous”, ­regrette cet homme de loi qui côtoie des collègues aux chemins de vie à l’opposée du sien. S’il avait un conseil à donner à un étudiant tenté par une carrière de magistrat ? “Il n’y a que trois choses qui payent : le travail, le travail et encore le travail.” 


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Fadwa Miadi