Micro-entrepreneur : En marche ou crève

 Micro-entrepreneur : En marche ou crève

Caia Image/Science Photo Library/AFP


En perte de vitesse, le régime de la micro-entreprise s’apprête à vivre un vrai bouleversement : le nouveau Président entend doubler son plafond. Les principaux intéressés sont partagés sur les effets de cette petite révolution. 


Créé en 2009, l’auto-entreprenariat – qui devient ­micro-entreprenariat le 1er janvier 2016 – promettait des miracles. S’il a effectivement connu un emballement dans les premiers temps – avec plus de 200 000 nouveaux inscrits par an – l’engouement pour ce modèle d’entreprise ­individuelle s’est tari. Depuis 2012, en effet, le statut a été l’objet de changements et a peu à peu ­perdu de son attrait. Les charges sociales et fiscales, au départ avantageuses, sont en hausse constante, les micro-entrepreneurs sont soumis à une taxe ­foncière spéciale, et sont tenus, depuis juin 2014, de réaliser un stage de préparation à l’installation (SPI) s’ils sont artisans.


“C’est vrai que le statut n’attire plus autant : il y avait entre 25 000 et 28 000 inscrits par mois en Ile-de-France les premières ­années. Ils ne sont plus que 18 000 aujourd’hui”, confirme Grégoire ­Leclercq, président de la Fédération des auto-entrepreneurs (Fedae). Et les nuages s’amoncellent : une disposition prévoit, qu’à compter du 1er janvier 2018, les micro-entrepreneurs ­devront se doter, comme toutes les entreprises, d’un logiciel anti-fraude à la TVA, alors qu’ils ne sont pas concernés par cette dernière… Et s’ils ne le font pas, ils seront obligés de payer une amende de 7 500 euros, soit près de 50 % de leur chiffre d’affaires déclaré en moyenne chaque année.


 


Un “impact marginal”


Mais Emmanuel Macron, fraîchement élu à la tête de l’Etat, a promis de s’attaquer à ce statut pour le rendre plus attractif. Alors que le chiffre d’affaires annuel était plafonné à 82 800 euros pour les activités achat/vente et 33 200 euros pour les autres services, le Président veut les multiplier par deux. “Ceux qui sont près de ce plafond ne représentent que 2 % de la population active en micro-entreprise. L’impact pour eux sera donc marginal”, expliquait en mai dernier, dans Capital, Eric Mattei, ­secrétaire général de l’Union professionnelle au service de la micro-entreprise (UPSME). Mais certains ­artisans et commerçants, qui voyaient dans ce statut une concurrence déloyale, vont désormais pouvoir y adhérer, et ainsi baisser leurs charges.


Deux autres réformes sont prévues : la disparition du très controversé Régime social des indépendants (RSI), rapprochant ainsi les micro-entrepreneurs du régime général. Grégoire Leclercq affiche son scepticisme : “Cela risque à mon sens d’être un moins : les remboursements avec des assurances privées allaient très vite. Là, on risque de perdre en efficacité”, analyse-t-il. Autre projet attendu : l’ouverture des droits au chômage. “C’est une question très sensible qui ne fait pas consensus, renchérit le président de la Fedae. Il faut trouver les financements et les gens se méfient des taxes supplémentaires. D’autant qu’on ne connaît pas les critères de déclenchement de ce droit : le chiffre d’affaires, l’arrêt total de l’activité ?”


 


Pas pour tout le monde


Malgré la communication très positive qui est faite autour de la micro-entreprise, ce modèle, où l’on est son propre manageur, directeur de la communication et directeur financier, n’est pas fait pour tout le monde. “Tout dépend de ce que les gens en font. Soit il s’agit de compléter un revenu : c’est le cas pour 40 % des auto-entre­preneurs, plutôt motivés par leur passion ; soit il s’agit du revenu principal. Car 60 % des affiliés à ce régime cherchent un revenu décent et là, c’est un problème qu’on n’a pas réellement réglé. Les micro-entrepreneurs ne réalisent que 12 000 euros de chiffre d’affaires par année en moyenne, c’est déraisonnable de penser qu’on peut vivre avec si peu. Ce qui veut dire qu’on n’est pas encore capable en France de développer nos petites entreprises”, se ­désespère ­Grégoire Leclercq.


Pour Mohammed, 35 ans, l’expérience a été négative : “J’étais chauffeur Uber en micro-entrepreneur, mais j’ai ­arrêté. Je n’ai pas réussi à me créer ma propre clientèle. Uber est un concurrent trop puissant, et je n’avais pas ­suffisamment de contacts. C’est un peu paradoxal, mais en fait, je travaillais pour mon propre concurrent à 3,50 euros de l’heure. Ce n’est franchement pas rentable. J’ai une dignité quand même !”


Mais, pour Grégoire Leclercq, dans les quartiers défavorisés, ce système entrevoit tout de même des points positifs : “L’explosion d’Uber est une vraie opportunité d’insertion, un accélérateur, mais à quel prix et avec quelle précarité à la clé ? C’est une vraie question, car la dépendance économique ne veut pas dire subordination. On peut voir le verre à moitié plein et l’autre à moitié vide. Est-ce préférable de ne rien avoir ou de vivre avec le strict minimum ? Et ça peut aussi donner le goût de l’entreprenariat…” Mohammed en a plutôt été dégoûté. “Uber se sert du statut de micro-entrepreneur pour avoir les avantages du contrôle sans les inconvénients : charges sociales, congés payés… Du coup, je préfère être salarié.”


Pour mener à bien son projet, il faut effectivement partir bien armé et avoir des qualités bien spécifiques. “Un excellent relationnel, du savoir-faire, de l’entregent : ceux qui aiment leur prestataire ne les quittent pas, ­explique Grégoire Leclercq. Il faut aussi un minimum de combativité, le goût de l’indépendance et une réelle organisation. Le micro-entrepreneur doit savoir tout faire : vendre, communiquer, se reposer, rester en veille, démarcher, être créatif…”


 


“Tout le monde s’y retrouve“


Leïla, chef de projet dans le design d’intérieur, a bien géré son passage en indépendante pour la simple et bonne raison que l’entreprise dans laquelle elle était salariée est devenue son principal client : “On signe un contrat annuel de collaboration. Je les connais bien, on a l’habitude de travailler ensemble et on se fait confiance. Elle n’a pas de charges à payer et moi je peux vendre mes services ailleurs. Tout le monde s’y retrouve”, explique-t-elle. Mais pour s’organiser, elle a dû passer par plusieurs étapes. “Au début, j’ai eu du mal à trouver mes repères : j’ai essayé de travailler de chez moi mais je me laissais embarquer par les tâches ménagères. J’ai donc opté pour l’espace de coworking, ce qui me convient bien. Une amie m’a coachée afin d’améliorer ma confiance en moi. Pour le reste, je me débrouille plutôt bien…” 


MAGAZINE SEPTEMBRE 2017

Nadia Sweeny