La résistance en Algérie

 La résistance en Algérie

Photos : Nejma Brahim-AFP


Le contexte : 1954-1962


En 1954, la guerre d’indépendance éclate en Algérie. Le pays est occupé par la France depuis cent vingt-quatre ans. L’insurrection se déclenche dans les Aurès, où une poignée d’idéalistes décident de prendre les armes. La lutte se propage. Elle est mal perçue par les Européens d’Algérie et la France, qui refusent de voir s’écrouler sa conquête coloniale. Les résistants algériens prennent le maquis. Parmi eux, des hommes et des femmes souhaitant rester maîtres de leur destinée. Une majorité de Français milite pourtant contre l’indépendance. Un déni de réalité qui renforce la non-mixité dans les villes, où des quartiers se forment selon les communautés : Algériens, métropolitains, Espagnols, Italiens ou Maltais. Lorsque, le 18 mars 1962, de Gaulle signe les accords d’Evian, dont l’application est fixée au lendemain, le cessez-le-feu n’est qu’un leurre. Les violences de l’OAS (Organisation de l’Armée secrète) débutent avec, en toile de fond, un mouvement de résistance lancé cette fois par les colons.


Le témoin : Zineb Seghier 



Dans sa maison située en région parisienne, Zineb Seghier, 76 ans, replonge dans ses souvenirs. Installée sur son canapé, la Franco-Algérienne feuillette le magazine Historia et une compilation du journal El Moudjahid (organe central du FLN, ndlr) des années 1960. Agée de 13 ans lorsque débute l’insurrection, elle voit sa famille s’impliquer dans la lutte et sa maison, à Oran, se transformer en lieu de passage pour les futurs maquisards. Plus tard, la jeune femme devient enseignante et assume ses convictions lorsqu’elle est confrontée à des situations contraires à ses principes. Elle est également témoin des violences de l’OAS après le 18 mars 1962 marquant pourtant la fin des hostilités.


"J’ai grandi à Oran, dans une famille engagée bien avant le déclenchement de la révolution. La montée des nationalismes débute dès les années 1930, notamment à cause des inégalités créées par les colons. Pour eux, la population autochtone doit être assujettie. Les Algériens n’ont même pas le droit de vote. C’est parmi les travailleurs émigrés en métropole que se crée le mouvement anticolonialiste l’Etoile nord-africaine (ENA) de Messali Hadj. Il y a deux autres tendances, celle d’Ibn Badis (traditionaliste) et celle de Ferhat Abbas (assimilation). Mes oncles et mon père étaient partagés, ce qui a donné lieu à des discussions très animées. Dans le quartier européen où nous vivions, Boulanger, il n’y avait qu’une poignée d’Algériens aisés parmi une majorité d’Espagnols. Les différentes communautés cohabitaient sans se fréquenter.


Le fait qu’on habite dans cet endroit estompait la méfiance des autorités. Toute ma famille était activiste, à commencer par mes parents. Notre maison servait de relais pour les gens qui souhaitaient prendre le maquis. Le but était de les mettre à l’abri jusqu’à ce qu’ils partent au combat. Une fois, un futur maquisard était en planque depuis quinze jours, prêt à partir. Mais avant, il a voulu dire au revoir à ses enfants. Ils l’ont cueilli en bas de chez lui, ­emprisonné puis exécuté. C’était en 1956. J’avais 15 ans. Cette année-là, ma sœur aînée a pris le maquis. Ma famille a commencé à être suspectée. Mes trois oncles ont été arrêtés durant le même après-midi, deux d’entre eux ont été internés dans des camps, à Bethioua.


 


Appartement saccagé


Je me suis mariée à 17 ans, ce qui m’a empêché d’emboîter le pas à ma sœur. Nous avons habité pendant deux ans à Mostaganem. Mon mari était enseignant. Inscrite à l’école normale par correspondance, j’ai élevé en même temps mon ­premier enfant. Nous vivions dans un quartier européen. La guerre se poursuivait avec les attentats perpétrés par le FLN et les arrestations massives, la répression… Les exactions étaient réciproques.


Nous étions nationalistes et pro-indépendance. Nous restions très discrets sur nos convictions. En janvier 1957, le FLN a ordonné une grève générale et les enseignants, dont mon mari, ont suivi le mouvement. Il a été arrêté et emprisonné ­pendant huit jours.


En 1960, je suis devenue institutrice. Nous avons été nommés à Oued Tlelat, avant d’être mutés, deux ans plus tard, à Sidi Bel Abbes où nous occupions un logement de fonction. Après leur putsch manqué, les généraux Salan, Zeller, Jouhaud et Challe sont entrés dans la clandestinité et ont formé l’OAS. Le but était de semer la terreur, provoquer le FLN et relancer la guerre. Après des vacances à Mostaganem, nous avons retrouvé notre appartement saccagé. Les soldats français s’étaient installés chez nous et avaient jeté nos affaires par la fenêtre. Nos photos traînaient sur le trottoir.


 


Au cœur des échanges de tirs


Notre école étant située entre le quartier arabe et un poste de l’armée française, nous nous sommes retrouvés au cœur d’échanges de tirs un soir. FLN contre armée française. Le lendemain, la cour de récréation était jonchée de douilles. Ça devenait trop dangereux, l’OAS tuait aveuglément. Nous avons quitté l’école pour aller vivre dans le quartier arabe. Mais nous devions continuer à enseigner dans l’école française.


 


Menaces et pneus crevés


La violence s’est généralisée. La tante d’une amie, voilée, a été abattue par l’OAS alors qu’elle encaissait son chèque à la poste dans un quartier français. Chaque jour apportait son lot de purges. Une fois, un camion plein d’explosifs a été lâché au marché à Oran, peu avant la rupture du jeûne. Il y a eu 100 morts. Et puis, il y avait le plasticage. L’OAS mettait des explosifs chez les autochtones. Les pieds-noirs applaudissaient quand ça explosait. Sinon, ils lançaient des casseroles chaque soir depuis leurs fenêtres et scandaient ‘Algérie française, Algérie française !’.


Mon mari s’est fait crever les pneus de son véhicule car il était le seul enseignant arabe. Son inspecteur l’a incité à ne plus revenir, pour ‘éviter de faire des orphelins’. C’était une période trouble. La vie humaine n’avait plus aucune valeur. Moi, j’avais reçu des menaces car je refusais de faire grève en faveur du général Jouhaud (trois des généraux putschistes avaient été arrêtés, ndlr). J’étais la seule à être venue travailler. Je voulais être en accord avec mes convictions. Mon mari montait la garde avec un pauvre bâton devant l’école ! Le jour d’après, des commerçants ont vu une mobylette rôder, ils l’ont alerté, et il est venu me chercher. J’ai dû quitter la classe et je n’y ai pas remis les pieds jusqu’à la rentrée, après l’indépendance.


 


Une nouvelle ère


En septembre 1962, j’ai revu ma collègue, celle qui avait initié la fameuse grève. Elle était restée en Algérie en tant que coopérante. Je ne l’ai pas dénoncée. Une amie de la famille, qui avait été torturée, a croisé son bourreau. Elle n’a rien pu faire, la guerre était finie. Nous entrions dans une nouvelle ère, où chacun avait conscience des responsabilités qui l’attendaient pour construire une nation nouvelle et libre.” 


MAGAZINE SEPTEMBRE 2017

Nejma Brahim