Pélerinage à la Mecque : Quand le rêve vire au cauchemar

 Pélerinage à la Mecque : Quand le rêve vire au cauchemar

crédit photo : Bandar Aldandani/AFP-Ramazan Turgut/Anadolu Agency/AFP


C’est un triste constat : les histoires d’escroquerie autour du “hadj” sont de plus en plus nombreuses. Les victimes n’osent pas porter plainte de peur d’”entacher” leur voyage. Enquête autour de ces drames financiers


Chaque année, ils sont près de 25 000 pèlerins à se rendre à La Mecque, en Arabie saoudite, pour accomplir le “hadj”, le pèlerinage à La Mecque, l’un des cinq piliers de l’Islam. Pour la plupart, tout se déroulera sans encombre. Pour d’autres, hélas, ce voyage, celui “d’une vie”, se transformera en désastre, victimes d’actes malveillants. Derrière ces arnaques, des rabatteurs, des associations, des agences non agréées et même des mosquées. Un système opaque où argent liquide, absence de contrat, approximations et détournements mettent les victimes en souffrance.


La mère de Houari, à Bordeaux, en a fait l’expérience l’année dernière. Pour 5 050 euros, elle devait effectuer son pèlerinage du 25 août au 17 septembre. Houari est encore abasourdi par les circonstances de ce voyage. “Un samedi matin, à Bordeaux, en compagnie de ma mère, je retrouve celui qui doit s’occuper du voyage. Il dit être un imam accompagnateur. Nous le rencontrons devant une ­pharmacie sur un marché communautaire où il distribue des flyers. Ces derniers sont très bien faits d’ailleurs.”


 


Une série de mauvaises surprises


Bien que méfiant, Houari se renseigne alors sur les éléments du fascicule (hôtel tout confort à proximité de la mosquée sainte, restauration, accompagnement, vol direct de Bordeaux jusqu’à Djeddah). “La rencontre dure cinq à six minutes. L’’imam’ nous demande d’être présents à son bureau le lundi. J’insiste alors sur la nécessité d’un contrat de voyage, ce qu’il promet de faire.” Lors de ce deuxième entretien, C’est le frère de Houari qui accompagne sa mère, future pèlerine : “L’agence où travaillait le quinquagénaire avait pignon sur rue. Il y possédait un petit bureau dédié au pèlerinage.” Le rabatteur rassure la mère de Houari et demande les papiers nécessaires (voir encadré). Il accompagne son discours d’une demande de règlement de l’intégralité de la somme. La famille s’exécute. Mais contre toute attente, l’organisateur ne leur remet pas de contrat de voyage.


Deux jours avant le départ, le rabatteur revient vers eux avec des nouvelles informations. Le vol ne partira pas de Bordeaux comme prévu, mais de Toulouse, avec une escale à Istanbul. Et ce n’est que le début d’une série de mauvaises surprises qui attend la mère de Houari. Il raconte : “Arrivés sur place, ils sont en fait logés dans un hôtel bas de gamme à huit kilomètres de la mosquée, dans le quartier d’Al Aziziya, où la restauration est minable. Ils se ­retrouvent aussi obligés de payer des taxis pour tous leurs allers-­retours sur le site saint. On leur promet qu’ils ne resteront là que deux jours… Finalement, c’est six jours qu’ils passeront dans ces conditions. Pour rattraper cette déconvenue, à la fin du séjour, les ­pèlerins sont installés dans un hôtel cinq étoiles, une fois le hadj ­passé… Et au retour, quand j’ai demandé le contrat de voyage à l’imam, il m’a tourné le dos et est parti.”


Ces mésaventures terribles, la mère de Houari mettra un an à les expliquer à sa famille, “de peur d’entacher son pèlerinage”. Une situation récurrente chez ces victimes atteintes dans leur intimité, analyse la psychologue clinicienne Eliane Dequiedt (voir encadré).


 


“Leur mois de rêve s’est transformé en cauchemar”


En menant sa petite “enquête”, Houari découvre que l’agence n’est pas basée à Lille, comme indiqué sur le flyer, mais bien à Bordeaux. Le visa de sa mère a été délivré par une autre agence, située elle, à Paris et dont “le bureau sert aussi pour les pompes funèbres”. Devant toutes ces aberrations, le fils de la pèlerine décide de contacter l’Association culturelle d’entraide et de fraternité (Acef), qui lutte contre ces escroqueries. Son président et fondateur, Omar Dakir*, nous explique le cheminement de toutes ces arnaques et les méthodes utilisées : “En 2007, les tarifs tournaient autour de 2 500 euros. Avec les travaux à la Kaaba (lieu saint) et à la mosquée, l’Etat saoudien a décidé de mettre en place des quotas par pays. Le ministère du Hadj redistribue ces visas à une quarantaine d’agences agréées en France, choisies par ses soins. Pour vendre ces quotas, ces dernières repassent par des agences non agréées. C’est ce qu’on appelle la distribution sélective des visas. Parallèlement, des associations, des mosquées ‘font du hadj’, sans avoir clairement cet objet dans leurs statuts. Cela ­s’appelle du ‘paracommercialisme’. Et en bas de l’échelle, il y a les rabatteurs. Eux, vivent grâce aux ventes de la ‘omra’ (petit pèlerinage, ndlr) ou du hadj, et on les soupçonne pour beaucoup d’avoir un salaire non déclaré.”



“Sans contrat, il y a anguille sous roche”


Et les affaires judiciaires s’accumulent devant les tribunaux. Hacen Boukhelifa est avocat aux barreaux de Paris, Marseille et Nîmes. Il a été contacté par une famille victime d’abus de faiblesse en Arabie saoudite. “Mes clients marseillais ont fait appel à une agence de voyages. On leur a fait miroiter un hôtel 5 étoiles, un guide agréé. La surprise, c’est qu’outre un retard de départ de trois jours, il n’y avait aucun guide sur place. Leur logement, situé dans la banlieue de La Mecque, était insalubre, miteux, avec des cafards. Ils ont dû se débrouiller seuls. Une plainte a été enregistrée par la police saoudienne. L’Etat français a été défaillant, puisque l’ambassade de France à Riyad et le consulat français à Djeddah n’ont pas rempli leur rôle de protection de leurs ressortissants, malgré des appels de la part de mes clients. En plus des 5 000 euros payés, la famille a dû dépenser des frais supplémentaires. Ce devait être un mois de rêve, il s’est transformé en cauchemar.”


Mohamed Chafchafi, lui, est guide accompagnateur pour une agence agréée par le ministère du Hadj, Carnot Voyages, à Saint-Etienne (Loire). Pour lui, il n’y a pas de secret : il faut dix ans d’expérience minimum pour gérer les pèlerinages. “On ne peut pas improviser un voyage à La Mecque, explique-t-il. Des problèmes peuvent arriver, mais le voyageur est ‘couvert’ par un contrat en double exemplaire qui précise tout (prix, hôtels, services, jour de ­départ, d’arrivée, etc.). Pour nous, comme pour le pèlerin, c’est la ­garantie que tout va bien se passer. Sans contrat de voyage, il faut se dire qu’il y a anguille sous roche.” Me Boukhelifa abonde dans son sens : “Avant de signer un contrat, il faut regarder les clauses. Ne pas hésiter à lire les conditions particulières, mais aussi vérifier que l’agence a pignon sur rue, tout comme les avis des internautes.”


 


Des recours sont possibles


Une fois l’arnaque détectée, des recours sont possibles. On peut déposer plainte en Arabie saoudite, ou en ligne, auprès de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Il faut aussi prendre un avocat. “Il y a deux qualifications pénales, éclaire Me Boukhelifa. L’’escroquerie’, régie par la loi 313-1 (cinq ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende) et la ‘mise en danger de la vie d’autrui’, régie par la loi 223-1 (un an de prison et 15 000 euros d’amende).”


Toutefois, les plaintes sont rares. “Même après un voyage effectué dans des conditions dramatiques et catastrophiques, les pèlerins n’osent pas saisir la justice, ajoute l’avocat. Ils craignent des conséquences négatives pour eux-mêmes. De plus, il peut y avoir des pressions, des menaces, une fois le pèlerinage effectué. Dans notre affaire marseillaise, cela fait deux ans que l’enquête est en cours ­auprès d’un juge d’instruction, sans avancer pour autant.” L’association Acef, qui porte plusieurs affaires depuis quatre ans, est ­particulièrement vigilante et tente de mettre en place des ­procédures, en faisant appel aux dons. “Il faut impérativement vérifier le contrat de voyage, certes, mais aussi que l’agence est agréée par le ministère du Hadj, qu’elle dispose de la garantie ­financière et que le guide dispose d’un contrat de travail”, détaille Omar Dakir, le président de l’Acef.


Mohamed Chafchafi ne le contredit pas sur ce point : “Pour travailler sérieusement, on se réunit avec nos clients au moins deux à trois fois dans l’année. On les tient au courant des avancées sur les hôtels, on fait des propositions. Celui qui a un avis peut nous le donner. Ce voyage n’est pas anodin et il faut pouvoir mettre toutes les chances de son côté, avec des sociétés qui respectent la loi.” 


 


ÉLIANE DEQUIEDT (Psychologue Clinicienne) : “Une escroquerie est une atteinte profonde et intime”


Afin de mieux saisir le traumatisme vécu par un pèlerin lésé et comprendre pourquoi il ne porte pas plainte, la psychologue clinicienne de Montpellier, livre quelques hypothèses.


“Lors d’un départ pour un pèlerinage, on est vulnérable, sans points de repère (surtout la première fois, dans un pays dont on ne connaît pas les règles, etc.). On est dans une représentation idéalisée de ce moment de vie. La méfiance n’est pas au premier plan, car on est dans un projet lié à la foi, à des valeurs intimes fortes. On appelle ça ‘l’identification projective’, c’est-à-dire qu’on accorde un blanc-seing à la personne avec qui on est en lien autour de ce projet et à qui l’on prête inconsciemment les mêmes intentions que celles qui nous animent. Ce procédé s’opère sans distinction culturelle, intellectuelle ou sociale.


Dès que le forfait est établi et que la victime en prend conscience, elle peut se trouver dans une forme de conflit interne, qu’on nomme ‘dissonance cognitive’ : deux pensées allant dans des directions inverses. Une escroquerie est une atteinte profonde et intime.


Déposer plainte crée du conflit, éloigne la personne de sa volonté première liée au pèlerinage. Sans oublier les mécanismes bien connus liés à ce type de situation pour la victime : sentiment de honte, voire de culpabilité, effets sur l’estime de soi, etc.


Pour dépasser cette souffrance, deux solutions sont possibles : se taire et ne pas porter l’affaire en justice, ce que font la plupart des personnes (en espérant une justice divine), ou en parler et aller jusqu’au bout d’une démarche de demande de réparation. Ce qui se fait généralement plus facilement lorsque l’entourage de la victime la soutient fortement dans ce sens.”


 


INFOS PRATIQUES SUR LE HADJ


– Un passeport d’une validité supérieure à six mois de la date du départ, un carnet de vaccination et deux photos sont requis.


– Pour un couple, un acte de mariage ou le livret de famille est nécessaire.


– Si une femme seule veut partir à La Mecque, elle doit être âgée de plus de 45 ans.


– Le coût du voyage oscille de 3 000 à 8 000 euros par personne pour le hadj, selon l’hôtel. 


– Pour la "omra", comptez entre 1 500 et 3 000 euros. 


– Afin de partir en toute sérénité, il vous faut un contrat de voyage (où tout doit être indiqué), vérifier que l’agence est agréée par le ministère du Hadj, qu’elle dispose de la garantie financière et qu’elle figure sur le site Atout France.


Voir aussi : 


Omar Dakir : "Les visas pour la Mecque ne devrait pas être dans le forfait"

Yassir Guelzim

Yassir GUELZIM

Journaliste Print et web au Courrier de l'Atlas depuis 2017. Réalisateur de documentaires pour France 5.