Edito – Maroc. Marine Le Pen et nous

 Edito – Maroc. Marine Le Pen et nous

ALAIN JOCARD / AFP

Si l’éventualité de voir Marine Le Pen au pouvoir fait souffler un vent de panique chez les voisins européens, cette possibilité nous laisse de marbre, nous autres Marocains. « Il n’y a pas de porc-épic lisse chez les hommes politiques » dit le proverbe marocain, pourtant, nous avons bien des raisons de nous inquiéter.

 

Tout d’abord, que les choses soient claires, la détestation de Marine Le Pen ne constitue en aucun cas, un certificat de virginité délivré à Emmanuel Macron. Nous autres Marocains, nous n’oublierons pas les décisions iniques de l’actuel locataire de l’Élysée, c’est grâce à lui qu’on a connu le plus abject chantage aux visas que l’Hexagone ait imposé aux Maghrébins. Si les visas pour la France ont été divisés par deux officiellement, en réalité ils ont été tout bonnement définitivement bloqués.

C’est aussi sous cette présidence que les relations maroco-françaises ont connu le pire de l’arrogance française. Mais entre la peste de Marine Le Pen et le choléra de Macron, il faudra bien choisir.  « Nous entrons dans l’ère de l’inimaginable » s’inquiète l’hebdomadaire allemand Die Zeit , rejoint par l’angoisse du grand quotidien de la gauche britannique The Guardian qui s’interroge « Comment la France en est-elle arrivée là ? », l’enjeu pour le royaume serait encore plus lourd de conséquences si une présidence Le Pen devait se concrétiser. Non seulement l’intronisation de l’égérie de la droite fasciste libérerait les démons xénophobes de la France, avec des conséquences dramatiques pour les communautés franco-maghrébines vivant dans l’Hexagone, mais également pour l’avenir des relations de la France avec le Maghreb en général et le Maroc en particulier.

Premier choc frontal, la loi sur l’immigration proposée par la candidate est d’une radicalité qui fait craindre le pire pour les binationaux. Première mesure phare de cette loi, le reniement du principe d’égalité. Ce texte intitulé « Citoyenneté, identité, immigration » constitue à lui seul l’essentiel du programme présidentiel de la candidate qualifiée pour le deuxième tour.

Ce projet, qu’elle compte faire adopter dans les six mois qui suivront son élection se propose non seulement de bloquer l’arrivée des immigrés ou de refouler les clandestins, mais il s’attaque en priorité aux immigrés en situation régulière et en France, et ce, depuis souvent des décennies qui vont être soumis à un système d’apartheid qui en fera des sous-citoyens n’ayant plus les mêmes droits que les « nationaux ». Sans le citer nommément, Le Pen reprend ici le fameux slogan de « remigration » prônée par Zemmour qui vise ainsi à contraindre des milliers de personnes à « rentrer chez eux ». Même si cette « remigration » viole aussi les principes élémentaires de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1789, Il s’agit là d’une discrimination clairement assumée entre « nationaux de souche » et étrangers, notamment en matière d’emploi ou d’accès à un logement social.

Ce projet de loi compte aussi contraindre les binationaux à choisir sous peine d’exclusion entre la nationalité française et celle du pays d’origine. Dans l’article 1 figure la précision suivante : « La loi pourra interdire l’accès à des emplois dans l’administration, des entreprises publiques, et des personnes morales chargées d’une mission de service public aux personnes qui possèdent la nationalité d’un autre État. » Autrement dit, ce seront 3 à 5 de millions de binationaux qui seront concernés. Est-ce que le royaume est prêt à absorber un flux de population aussi conséquent ? La question reste posée.

De plus, avec la présidente d’extrême droite, les charters vont reprendre illico car elle se propose de faire partir de France, les non-nationaux au chômage depuis plus d’un an ! Dans le programme également, le regroupement familial, sera l’objet de telles restrictions qu’il deviendra quasiment impossible. Il s’agit ainsi pour Madame Le Pen de faire en sorte « que l’installation des étrangers sur le territoire national » ne puisse en rien « modifier la composition et l’identité du peuple français ».

Bien sûr, au-delà de la « Le Pen », la France est résolument engagée dans la chasse aux immigrés, mais la gestion des flux migratoires ne doit pas être un prétexte pour régler leur compte aux immigrés de longue date, ces Marocains, Algériens et autres Africains devenus français par la force de leur poignet, quand certains d’entre eux ont gagné leur ticket d’entrée dans la France d’aujourd’hui grâce à la force des poignets du paternel, terrassé par la silicose des mines lorraines ou usé par le ramassage des ordures des français des quartiers chics.

On comprend, évidemment que la France, pays déclassé, soit tentée par un repli égoïste, mais la question mérite aussi un débat encadré et dépassionné, loin de la récupération ou de la caricature. La France, pays des droits de l’homme, ne doit pas devenir une République sans humanité, sans solidarité et sans dignité. Pour Hitler, parlant d’identité, il s’agissait de préserver la pureté de la race aryenne et pour Marine Le Pen, en quoi consiste cette identité ?

La banalisation tranquille de ce type de discours, son acceptation comme naturelle par une grande partie de l’opinion française en disent long sur le lent mais inexorable avilissement démocratique de ce pays.

 

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Abdellatif El Azizi